Scorsese à la réalisation et un ex-Soprano à l’écriture, le pilote de Boardwalk Empire promettait les noces fastueuses entre télé et cinéma. Une fausse bonne idée ?
Evacuons d’emblée la question la plus évidente. Le pilote de Boardwalk Empire, diffusé le 19 septembre sur HBO et réalisé par Martin Scorsese, peut-il être considéré comme l’un des meilleurs de l’histoire de la télé ? L’interrogation existait au regard du buzz presque surréaliste provoqué par l’attelage du cinéaste de Casino et de Terence Winter, fin scénariste des Soprano.
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On allait voir ce qu’on allait voir, les noces enfin accomplies entre le meilleur du petit et du grand écran, la fin d’une rupture culturelle ancrée dans la psyché mondiale depuis soixante ans, la naissance d’un objet hybride et révolutionnaire. Roulement de tambour, fin du suspense. La réponse est non.
Dans le genre très balisé du premier épisode de série, on a déjà vu beaucoup mieux que ces soixante-dix minutes-là, ne serait-ce que lorsque Mad Men ou Breaking Bad sont apparus, voire plus récemment l’étrange Rubicon. Cela ne veut surtout pas dire que Boardwalk Empire ne possède aucun attrait – à la télé, contrairement au cinéma, rien n’est plus trompeur et illusoire qu’une première impression. Cela ne signifie pas davantage que cette incursion singulière et significative de Martin Scorsese en dehors du celluloïd (il n’y avait jamais réalisé autre chose qu’un documentaire) mérite un simple soupir excédé.
Boardwalk Empire débute le 16 janvier 1920, jour de la mise en application de la prohibition à Atlantic City. Elle s’attache au parcours d’un boss local du crime organisé, Enoch Nucky Thompson (Steve Buscemi, un peu falot), prêt à tout pour construire un empire pendant que le pays retrouve ses marques au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Cet ancrage historique est à la fois accolé à une réalité avérée et à un imaginaire qui a traversé le cinéma. L’un des premiers films noirs, Scarface de Howard Hawks (1932), mettait en scène un gangster inspiré d’Al Capone, que l’on retrouve parmi les personnages secondaires. Scorsese connaît évidemment ce chef-d’oeuvre par coeur et s’amuse avec les codes du genre. D’où une stylisation très inhabituelle dans l’univers de la série télé, parfois extrêmement réussie (belle scène de fusillade dans la forêt), mais par moments hors sujet (trop de travelling tue le travelling), voire carrément scolaire.
L’impression d’assister à une leçon de cinéma adaptée au petit écran domine une partie de l’épisode et peut laisser un goût étrange. A quoi sert un plan-séquence compliqué d’une minute trente dans une série télé ? A pas grand-chose, à vrai dire, sinon à signifier qu’il est possible aujourd’hui de se poser des questions de mise en scène classiques en dehors du cinéma. Le risque est de ne se satisfaire d’aucun point de vue, même si l’ambition paraît louable.
Pour situer, disons que le pilote de Boardwalk Empire dépasse d’assez loin certains films du cinéaste (le lourdement costumé Gangs of New York, par exemple) tout en restant à distance respectable de ses coups de génie (malgré les ouvertures et fermetures à l’iris, la puissance émotionnelle du Temps de l’innocence semble loin).
Selon Terence Winter, le créateur de Boardwalk Empire (et donc le véritable cerveau de l’affaire), le plus grand défi a été de rester dans le ton de la réalisation initiée par Scorsese tout au long des douze épisodes que compte la première saison. On veut bien le croire, en espérant qu’il n’a pas négligé le souffle romanesque qu’exigent les meilleures séries contemporaines. Les bases semblent présentes, notamment à travers un personnage de jeune ambitieux (notre chouchou Michael Pitt). On patientera donc sagement quelques épisodes avant de prononcer une sentence définitive.
Boardwalk Empire Sur HBO. Diffusion en décembre sur Orange Cinéma Séries
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