[A l’occasion de la diffusion de la saison 2 de la série, nous vous proposons de (re)lire cet entretien] Créateur de « Pose », Steven Canals nous raconte la genèse de sa série, ses principes de casting et son désir d’optimisme alors qu’une saison 2 est attendue pour l’année prochaine.
La première saison de Pose, qui se termine lundi 23 juillet après huit épisodes pour la plupart enthousiasmants, aura mis un sacré coup de pied dans la fourmilière télé, en accréditant l’idée qu’à une époque saturée d’images, de nouvelles voix peuvent émerger. Située dans la communauté des bals queer à New York dans les années 80, la série produite par Ryan Murphy (American Crime Story, American Horror Story, etc) raconte comment des personnes largement invisibles – trans, travailleuses du sexe notamment – ont constitué entre elles des familles, pour se protéger de la violence ambiante. Idéaliste et virevoltante, mais aussi très crue dans sa manière d’aborder les vies dangereuses de ses personnages, Pose est la création d’un jeune homme de 37 ans, Steven Canals, dont le parcours chaotique vers le succès force le respect. Il raconte aux Inrocks la genèse de sa série, ses principes de casting et son désir d’optimisme, alors qu’une saison 2 est attendue pour l’année prochaine.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pose met en lumière le milieu des « balls » queer à New York dans les années 80 ? D’où vient votre passion pour cette culture underground ?
Ma première interaction avec la communauté des « balls » a eu lieu quand j’avais un peu plus de vingt ans – dans les années 2000 – à travers un professeur qui m’a montré le documentaire de Jenny Livingston Paris is Burning. C’est un film magnifique qui évoque la culture « des balls ». Ensuite, en tant qu’habitant de New York, j’ai fréquenté les bars et les clubs, les nuits consacrées au « voguing ». A ce moment-là, je n’assumais pas encore mon identité queer. J’ai été stupéfait et ému par la communauté incroyablement résiliente que je découvrais. Je ressens toujours aujourd’hui cette idée que les personnes mises en avant dans Paris is Burning ont fait face à la pauvreté et à la violence en se regroupant, en créant des familles, en célébrant la vie. Alors que je vivais au fond du placard, je me suis nourri de leur force et j’ai pu faire mon coming out. Pose est d’abord une manière pour moi de rendre hommage à ceux et celles qui ont occupé l’avant-garde de la pop culture, à travers la musique, la mode et la danse, tout en étant effacées de l’histoire officielle pendant des décennies.
Comment est-ce devenu une série ?
J’ai grandi en adorant le film Flashdance avec Jennifer Beals et je savais qu’à un moment de ma vie, je voudrais raconter une histoire proche, sur un jeune danseur qui arrive à New York pour réussir. Quand j’ai commencé à étudier le cinéma, je voulais devenir réalisateur. Mais à l’époque, je n’avais pas l’intelligence émotionnelle nécessaire pour gérer les retours sur mon travail. Je me suis détaché de mon propre désir. J’ai accepté un travail administratif à la fac pendant huit ans. A force de me retrouver devant des étudiants pour leur donner des conseils sur la meilleure façon de mener leur vie professionnelle – mais sans vivre la mienne… -, j’ai décidé de m’engager de nouveau dans une pratique artistique. Je suis parti à UCLA étudier le scénario. Pendant ma deuxième année, soit dix ans après ma première idée sur ce jeune danseur qui débarque à New York, j’ai posé les bases de Pose en imaginant que ce garçon pouvait entrer en interaction avec la communauté des « ballrooms » des années 1980. J’étais enfant à New York dans les années 80, j’étais pauvre et je n’avais pas accès à beaucoup de ressources. J’ai tout de suite compris qu’il y avait bien plus à raconter que des histories de danse, en termes politiques notamment.
Vendre cette idée n’a pas été facile.
Quand j’ai écrit la première version du pilote de Pose, j’ai eu des retours internes incroyables à l’université, mais l’industrie n’a pas semblé intéressée. Nous étions en 2014. J’ai passé deux ans à multiplier les rendez-vous. Pose m’ouvrait beaucoup de portes, mais impossible de rester longtemps dans les pièces où j’avais réussi à rentrer. On me disait que ce pilote était frais et que la série était trop « niche », que le public pour ce genre d’histoires n’existait pas. Certaines réactions étaient clairement homophobes et racistes. Trop noir. Trop marron. Trop urbain, ce qui est une forme de langage codé pour exprimer une discrimination. Trop queer. Trop trans. J’étais un peu dégouté. Mais pendant l’été 2016, j’ai eu un rendez-vous avec Sherry Marsh qui est aujourd’hui productrice sur la série. Elle a eu l’idée d’en parler à Ryan Murphy, le créateur de nombreuses séries comme Nip/Tuck. Ryan a écouté mon pitch et c’était parti. Il venait de gagner tous ces Emmys avec The People vs OJ Simpson. Nous avons été connectés intimement, autour de notre amour pour New York et pour cette communauté. Après une heure, il m’a proposé de faire la série avec lui. Deux ans plus tard, nous sommes-là !
Pose aborde des sujets durs – discrimination, SIDA, racisme – sous une lumière optimiste. Comment réussissez-vous cela ?
Dès l’écriture de la première version du pilote, je voulais mettre en valeur un monde dans lequel j’ai envie de vivre. Pour moi, c’est très important de montrer ces personnages heureux. En tant qu’afro-latino, je suis fatigué de voir ma communauté, ou la communauté LGBTQ, représentés de la même manière. A la télé ou ailleurs, nous sommes les dealers ou les voyous. En général, nous sommes marginalisés. Nous avons eu envie de créer une série qui donne de la joie et de l’espoir. Dans ce climat politique, cela semble très important de célébrer les membres de ces communautés, parce que les représentations sont importantes. Trans is beautiful. Nous avons aussi une responsabilité en tant que créateurs : mettre en scène des histoires qui prennent en compte tous les aspects de chaque personne. Ce qui se passe en général dans les films ou les séries, c’est qu’on ne peut accueillir qu’un personnage trans, ou gay, parce qu’il n’y a pas de place ! Cette place, Pose la crée. Il existe un spectre très large à l’intérieur de ces communautés et nous le montrons. Dans les séries, les femmes transgenres sont souvent là pour éduquer leurs fréquentations cisgenres. Ou alors elles servent en tant que victimes à catalyser un récit. Ici, ce sont elles qui prennent le volant.
Vous avez choisi des actrices trans pour incarner des femmes trans. Aujourd’hui, ce n’est plus possible de caster un homme cis pour jouer une femme trans, comme il y a quelques années avec Jeffrey Tambor dans Transparent ?
Le casting authentique est un élément majeur pour nous. Ce projet célèbre la beauté et la variété de la communauté trans. Cela n’aurait aucun sens de ne pas en tenir compte et de ne pas inclure concrètement cette communauté. En plus des comédiennes, les scénaristes Our Lady J et Janet Mock sont très importantes dans la salle d’écriture. A chaque niveau, des personnes trans sont présentes. Nous avons aussi des consultants de la communauté des « ballrooms ». Il n’est pas question de nous approprier ces cultures. J’espère que d’autre créatrices et créateurs reconnaitront l’importance de l’inclusion. Si vous racontez une histoire spécifique, ne mettez pas de côtés les premiers concernés.
Il y a peu de scènes de sexe dans Pose, avez-vous des limites sur le sujet ?
Quand il s’agit de représenter la sexualité, je pense d’abord au baiser entre Stan (un père de famille) et Angel (une travailleuse du sexe transgenre) dans le premier épisode. Un baiser entre une femme trans et un homme cis, je pense que c’est révolutionnaire. Le soir de l’épisode, les réactions de femmes trans – et notamment de femmes trans de couleur – sur les réseaux sociaux étaient dingues. Elles racontaient qu’elles avaient eu le souffle coupé à ce moment-là, parce que d’habitude, ces choses sont peu représentées, ou bien de manière violente. C’est aussi la réalité d’une femme trans travailleuse du sexe, mais je voulais aller plus loin. Alors, Stan et Angel s’embrassent dans une voiture en écoutant Kate Bush. Les femme trans de couleur méritent l’amour et le respect. Tout le monde a le droit de faire entendre sa voix. C’est essentiel que ce message soit relayé aujourd’hui à un public large.
{"type":"Banniere-Basse"}