Depuis 2013, Rick et Morty, la série d’animation créée par Dan Harmon et Justin Roiland, est devenue une véritable icône de la pop culture avec son humour noir, son nihilisme et sa tendresse. Rencontre avec ses deux créateurs.
C’est sur la phrase “It’s been way too long” (“cela fait bien trop longtemps”) que s’ouvre la bande-annonce de la quatrième saison très attendue de Rick et Morty. Et pour cause, l’attente fut interminable. Il aura fallu plus de deux ans à Dan Harmon et Justin Roiland, les deux créateurs de la série, pour accoucher d’une quatrième saison. Si les deux compères justifient ce délai par la durée des négociations contractuelles avec la chaîne Adult Swim, productrice du show, on imagine qu’il a aussi fallu du temps à Dan et Justin pour prendre la mesure du succès de Rick et Morty et lui donner une suite qui en soit digne.
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Discrètement lancée fin 2013, la série n’a depuis cessé de gagner en popularité, au point de devenir pour les millennials un emblème de la pop culture contemporaine : Netflix et HBO se l’arrachent, elle se décline en une multitude de produits dérivés, des T-shirts à la sauce Szechuan que McDonald’s avait commercialisée en référence au show et qui avait provoqué des émeutes outre-Atlantique (dans le premier épisode de la saison 3, “The Rickshank Rickdemption”, Rick évoque son souvenir d’une sauce vendue par McDo au moment de la sortie du film Mulan en 1998 ; à la suite du succès de ce passage, McDonald’s annonça sur Twitter qu’elle commercialiserait de nouveau la sauce Szechuan pour un jour seulement, le 7 octobre 2017 – ndlr) ; elle fait l’objet de multiples théories sur internet, et même les intellectuels français lui déclarent leur flamme (Aurélien Bellanger a signé le 30 octobre sur France Culture un billet sur “L’œuvre d’art contemporaine la plus pertinente que je connaisse sur la question de l’éternité de l’âme, c’est la série d’animation Rick et Morty”).
Le phénomène est né dans un festival de court métrage organisé à Los Angeles en 2006. Justin venait d’être renvoyé de son poste de producteur à la télévision et voulait se défouler. Il réalise Les Aventures de Doc et Mharti, un court de moins de cinq minutes assez dégoûtant, vaguement inspiré de Retour vers le futur, où un vieux scientifique demande à son jeune acolyte de lui lécher les parties génitales pour permettre un voyage dans le temps.
https://youtu.be/VF8faYSW_7A
Six ans plus tard, c’est au tour de Dan Harmon d’être viré de Community, série qu’il avait pourtant créée. Adult Swim – une chaîne spécialisée dans les cartoons underground et qui est disponible en France depuis cet été – lui commande un projet de série. Dan repense au court métrage de Justin et le rappelle. Les ingrédients de Rick et Morty sont déjà là : joyeuse irrévérence, graphisme expressif et absurdité science-fictionnelle. A partir de ce premier jet s’échafaudent les aventures abracadabrantesques, interdimensionnelles et spatiotemporelles de Rick, un savant cynique, alcoolique, mégalomaniaque et anarchiste, et de Morty, son petit-fils peureux, gentil, influençable et naïf. L’une des particularités du show est que la voix de ses deux personnages principaux est doublée par Justin himself.
En trente et un épisodes, Rick et Morty s’est affirmée comme l’une des séries les plus inventives de ces dernières années. Comme d’autres séries d’animation (Les Simpson, South Park), elle s’affirme comme une caisse de résonance au contemporain. Avant que la quatrième saison de dix épisodes ne soit lancée le 10 novembre prochain, nous avons pu rencontrer Dan et Justin.
Rick et Morty balance constamment entre un nihilisme profond et une forme de tendresse poétique. Comment exprimeriez-vous la philosophie de la série ?
Dan Harmon — Je pense que nous partons du postulat que savoir que rien ne compte ne mène nulle part, à part à la dépression peut-être. La planète est en train de mourir. Le soleil explose petit à petit. Nous allons tous mourir, et l’humanité court à sa perte. Aussi loin que vous regardez, cette vérité perdurera toujours. Dans un tel contexte, qu’est-ce qui compte vraiment ? Une fois que vous avez franchi ce seuil effrayant d’acceptation de l’absence de sens, tous les endroits sont le centre de l’univers. Je pense que nous avons cette chance fugace de participer à une illusion appelée l’amour des autres, ou de votre chien. Savoir que rien ne compte mais célébrer cette absence de sens en vivant dans l’instant, en s’autorisant la folie, l’amour, le rêve ou l’excès est une solution. Dans un monde où rien n’a de sens, chaque moment est le moment le plus important. Et tout est le sens de la vie.
Quand on regarde un épisode de Rick et Morty, on a parfois l’impression que vous vous êtes livrés à un exercice de cadavres exquis, comme le faisaient les surréalistes. Avez-vous une méthode pour écrire ?
Dan Harmon — Nous n’avons justement pas de méthode pour écrire, ou si nous en avons une, il s’agit justement de prendre le plus de distance possible avec tout carcan d’écriture. Ce qui se produit la plupart du temps, c’est que nous nous enfermons avec une bande de scénaristes dans une pièce. Pour peu que nous nous entendions bien et que nous partagions un penchant pour la science-fiction, nous commençons à rire ensemble, à déconner et à partager des trucs plus personnels sur nos vies. Il y a dans la pièce un assistant d’écriture dont la tâche est de garder la tête froide, de maintenir un cap et de surtout garder une trace écrite de nos délires, de nos blagues et de nos pensées.
Justin Roiland — Oui, c’est surtout ça qu’on partage. Ce ne sont même pas des idées. Nous mettons ensuite de l’ordre dans cet amas de pensées pour les agréger à un récit très basique. Ce qui explique que les histoires de Rick et Morty soient à la fois très simples en termes de structure narrative, mais très alambiquées dans leurs ornementations. Et même une fois la phase d’écriture achevée, les épisodes sont retravaillés au storyboard, à l’animatique (vidéo de travail faite à partir des croquis du storyboard – ndlr), et il arrive même que j’improvise certains dialogues pendant la phase de doublage. C’est un processus très organique, et Dan est très perfectionniste.
La série est un melting-pot d’influences de la pop culture. On y trouve des références à Obama, à Michael Jackson, à Steve Jobs, mais aussi beaucoup de références cinématographiques. Quelle place a le cinéma dans vos vies ?
Justin Roiland — On essaie de ne pas mettre trop de références à la pop culture, car on a très vite compris que South Park serait toujours le champion pour faire ça. Mais pour ce qui est du cinéma, on a tous les deux été bercés par les films de science-fiction des années 1980-90. Manifestement Rick et Morty dérive de Retour vers le futur. Mais on adore aussi les films de Cronenberg, de Paul Verhoeven, de Ridley Scott et de Carpenter. Dans Rick et Morty, nous aimons bien détourner des blockbusters comme Titanic, Indiana Jones, Mad Max, Jurassic Park, Inception, Saw, Avengers ou des vieux trucs un peu kitsch comme L’Agence tous risques.
Vous avez signé avec Adult Swim un contrat pour soixante-dix épisodes. Ce qui fait que vous en avez encore pour au moins sept ans de vie commune. La pression de maintenir la qualité vous effraie ?
Dan Harmon — On ressent la pression des fans, mais elle ne nous paralyse pas. Notre capacité à imaginer de nouvelles histoires est liée au pouvoir de Rick. Très tôt, nous avons décidé que l’enjeu ne serait pas, contrairement à la majorité des récits de science-fiction, la capacité de Rick à survivre ou à maîtriser son pouvoir, l’enjeu a toujours été de célébrer, par l’absurde, par l’humour noir, par la fantaisie, la simple existence de ce pouvoir. Tant que nous ne serons pas lassés d’explorer toutes les potentialités du pouvoir de Rick, je pense que nous ne serons pas à court d’idées.
Lors des précédentes saisons, vous avez eu des invités assez prestigieux (Susan Sarandon, Jordan Peele, Stephen Colbert, Christina Hendricks, Werner Herzog). Il y a une rumeur comme quoi Kanye West serait l’invité d’un prochain épisode. Vous confirmez ?
Dan Harmon — Oui, on est en discussion avec lui, mais il est très occupé en ce moment. Si ça arrive, ce sera plutôt pour la saison 5. Pour la saison 4, on a eu Taika Waititi, Sam Neill, Kathleen Turner et Paul Giamatti.
Le succès du show vous a-t-il surpris ? Notamment au regard de la quantité de produits dérivés Rick et Morty qui ont vu le jour.
Dan Harmon — J’étais surpris oui. J’ai toujours rêvé de créer un show qui devienne une icône de la pop culture. Mais au début, je ne pensais pas du tout que cela arriverait avec Rick et Morty. Je me disais que le show était trop barré, trop irrévérencieux. J’ai tout de même commencé à faire des jouets après la saison 1. Puis les T-shirts, puis il y a eu l’affaire avec McDonald’s, et là…
Justin Roiland — Oh merde, oui, là, je me suis dit que ce qui se passait était complètement surréaliste pour nous. Cela me dépasse complètement. Je n’aurais jamais imaginé ça. Pour moi, nous étions destinés à rester un cartoon de niche, cela me suffisait.
A quoi tient ce succès selon vous ?
Justin Roiland — Je crois que la série décrit bien à quel point le monde contemporain est chaotique et désespéré. Rick et Morty aurait donc une vertu quasi thérapeutique. Son nihilisme, et la façon dont il est toujours amené avec humour, doit parler aux gens. On a tous peur que l’existence n’ait aucun sens. Rick part du principe que rien n’a de sens, et s’amuse à partir de ce postulat. Je crois que Rick nous permet d’être plus en paix avec la vie. J’ai une histoire que m’a racontée un fan à ce propos : ce fan est éducateur et il devait s’occuper d’un enfant traumatisé qui ne parlait à personne, mais il a fini par se confier à cet éducateur. Un jour, il lui a demandé pourquoi il s’était confié à lui plutôt qu’à un autre, et l’enfant a pointé le pin’s Rick et Morty qu’il avait sur son sac en lui citant une phrase de Morty : “Nobody exists on purpose. Nobody belongs anywhere. Everybody’s gonna die. Come watch TV” (“L’existence n’a aucun sens. Personne n’a sa place nulle part. Tout le monde va mourir. Viens regarder la télévision »). Ce petit garçon ressentait ce sentiment, et je le connais aussi. C’est pour ça que les gens aiment le show, malgré son cynisme, son ridicule et le consumérisme qui l’entoure. Finalement, Rick et Morty est une célébration de l’absurde et de l’anarchie de l’existence.
Rick et Morty saison 4, sur Adult Swim, à partir du 11 novembre en France
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