De passage à Paris, Jonathan Ames, créateur de « Bored to Death », nous a fait regretter un peu plus l’annulation de sa série.
L’arrêt d’une série est un événement banal à la télévision américaine, mais l’annonce par HBO de la fin de Bored to Death après trois saisons nous a touchés. En racontant les mésaventures sentimentales d’un écrivain raté (interprété par le génial Jason Schwartzman), la série détonnait, refusant l’efficacité ordinaire du petit écran et misant tout sur une douce loufoquerie. Une vraie perte pour les amateurs d’humour dadaïste, dont la rencontre avec son créateur, l’écrivain Jonathan Ames, ne nous aura pas consolés.
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Bored to Death aura duré trois saisons. Etes-vous content d’avoir infiltré Hollywood aussi longtemps ?
Jonathan Ames – En tant qu’écrivain new-yorkais, je n’avais pas le profil. Trop bizarre. Mais il fallait bien payer mon loyer. Comme les chercheurs d’or émigrant en Californie à la fin du XIXe siècle, j’ai commencé à flirter avec Hollywood. Au début, j’étais comme un rat enfermé dans un labo de cocaïne, fasciné par tant d’opulence. Ensuite, j’ai connu quelques déceptions. Et puis Bored to Death s’est concrétisée. J’ai fait cette série dans une atmosphère de grande liberté. HBO m’a donné l’occasion d’être un « auteur » au sens français du terme, une notion qui n’existe aujourd’hui qu’à la télévision. Chaque saison était comme un grand bateau avec ses problèmes et ses compromis, mais au bout du compte, ce bateau était le mien.
Etes-vous d’accord si on qualifie votre style de lo-fi, minimaliste ?
Disons que dans Bored to Death, chaque blague n’est pas soulignée au marqueur. Je laisse les choses traverser l’écran, au risque qu’elles ne se remarquent pas. J’ai cherché à maintenir un haut niveau d’absurdité sans faire clignoter cette absurdité. J’ai été formé en tant qu’écrivain et scénariste en regardant vers les oeuvres européennes, d’où peut-être cette tendance chez moi. Ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas été influencé par d’autres séries. Je ne regarde plus la télévision depuis vingt ans.
Vous n’avez pas vu Larry et son nombril ou Louie, des comédies qui sont aussi des autoportraits ?
J’ai joué dans Larry… et je l’ai regardée un peu chez mes parents. Mais je n’ai pas vu Louie. Mon référent principal serait plutôt le cinéma. Au début, j’imaginais Bored to Death, qui est tirée d’une de mes nouvelles, comme un film noir. Finalement, c’est devenu une série, mais j’ai ciselé chaque épisode comme un petit film. Arrivé à la troisième saison, je me sentais tel un peintre réalisant à quel point le tableau qu’il avait créé était grand, en termes de couleurs, de tons, de personnages. Mais toujours avec six jours de tournage par épisode !
Il se passe souvent « presque rien » dans Bored to Death. Les blagues sont fréquemment « presque pas drôles ». Vous assumez cette fragilité ?
J’aime bien le mot fragile. Une grande partie de l’humour dans la série vient de la vulnérabilité des personnages. D’une manière générale, j’ai une façon bien à moi de rendre la tristesse des gens drôle. Alors, oui, j’assume la fragilité. J’en fais mon étendard.
Qu’avez-vous fait le jour où vous avez appris l’arrêt de la série ?
J’ai organisé ses funérailles dans un bar de Brooklyn. J’ai payé ma tournée. J’étais triste, mais pas amer. Les gens qui sont venus étaient étranges et décalés. Ils se regardaient et savaient immédiatement qu’ils avaient quelque chose en eux d’un peu fou. C’était un rassemblement de grands sensibles. Bored to Death est une série culte pour personnes sensibles. Beaucoup de gens aiment rire aux dépens des autres, mais moi, j’ai toujours refusé de susciter l’ironie. C’est ce qui a plu.
Olivier Joyard
Bored to Death à partir du 11 février à 20 h 40 sur Orange Cinenovo.
à lire Une double vie c’est deux fois mieux de Jonathan Ames, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Gratias (Joëlle Losfeld), 256 pages 21,50 euros.
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