Classé sans suite s’immerge dans la guerre qui ravagea le rap US dans les années 1990 et s’acheva par les assassinats de deux de ses stars majeures. Des affaires jamais résolues.
Pour ceux qui ne l’auraient pas vécu ou mesuré à l’époque, le choc que représentent les assassinats de Tupac en septembre 1996 à Las Vegas puis de Notorious B.I.G. en mars 1997 à Los Angeles équivaut à imaginer, de nos jours, ceux de Kendrick Lamar et de son rival Drake. A partir du milieu des années 1990, Tupac et Biggie Smalls trustent le sommet d’une planète rap marquée par une violente opposition West Coast/East Coast.
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Les deux anciens amis devenus ennemis en sont les porte-étendards. A l’ouest, les Californiens Snoop Dog, Tupac et Dr. Dre rassemblés par Suge Knight sous le label Death Row Records, à l’est les New-Yorkais Biggie Smalls et P. Diddy, créateur du label Bad Boys Records.
Si cette guerre est musicale – au Who Shot Ya? (1994) de Notorious B.I.G. répond le Hit ‘Em Up (1996) de Tupac –, elle est aussi criminelle et commerciale, la frontière entre gangs et labels étant assez floue. Point d’incandescence d’une rivalité qui cesse après les meurtres, cette tragédie n’a jamais trouvé ses coupables.
Le règne de l’omettra dans le monde du flow
L’omerta règne et la probabilité que des policiers soient impliqués a rendu impossible la résolution des enquêtes, permettant ainsi les spéculations et théories du complot les plus folles.
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A l’origine diffusée sur USA Network, Classé sans suite est une série de fiction documentaire qui raconte le temps qui précède la tragédie puis celui des tentatives de résolution judiciaire. Quelques mois après le meurtre de Biggie, le détective du LAPD Russell Poole est chargé de l’enquête, mais ses conclusions – certains policiers seraient complices – ne plaisent pas à sa hiérarchie, qui lui retire l’affaire.
L’enquête est relancée en 2006, cette fois sous la direction du détective Greg Kading, qui finira, lui, par suggérer l’implication des directeurs des labels, P. Diddy et Suge Knight. Il sera dessaisi de l’affaire, mais en tirera un livre qui sert de terreau à Classé sans suite.
Pour saisir la triple ascendance de cette nouvelle true crime story, il suffit de se pencher sur la filmographie d’Anthony Hemingway, réalisateur de la moitié des épisodes. En plus d’avoir réalisé cinq des dix épisodes de The People vs O. J. Simpson: American Crime Story,
Un casting de newcomers brillant
il a dirigé des épisodes de deux séries signées David Simon : Treme et The Wire. Classé sans suite partage avec elles un membre de son casting : Wendell Pierce (Bunk dans The Wire et Antoine Batiste dans Treme). Si elle ne se hisse jamais au même niveau, Classé sans suite les a dans le viseur.
Outre un excellent casting – de brillants newcomers dans le rôle des rappeurs et des acteurs plus aguerris dans celui des inspecteurs (Josh Duhamel de la saga Transformers et Jimmi Simpson de Westworld) –, la série s’appuie sur une reconstitution historique et judiciaire soignée (American Crime Story) et sur une triangulation naviguant entre industrie musicale (Treme), gangs et police (The Wire).
A ce triangle thématique répond un autre triangle, cette fois temporel. La série fait dialoguer trois époques. Avant 1997, c’est le temps de l’innocence et de l’amitié, celui qui précède le conflit. Lui succède le temps du trauma et d’une première tentative de résolution à chaud, celle que Russell Poole mène de 1997 à 1999.
Enfin vient une époque jumelle de la précédente, celle de la seconde tentative de résolution, plus archéologique, menée par Greg Kading, celle qui se penche sur le passé comme sur une matière froide. A ce titre, Classé sans suite illustre cette tendance qui semble animer les images depuis un peu plus d’un an, à savoir une dialectique entre notre siècle et le précédent.
Les fantômes d’une jeunesse dont les meurtriers n’ont jamais été identifiés
De Twin Peaks à Dark en passant par Stranger Things (pour les séries), ou encore dans les films les plus décisifs vus cette année à Cannes (ceux de Jean-Luc Godard, Christophe Honoré, Jia Zhang-ke, Kirill Serebrennikov, Bi Gan, Yann Gonzalez ou David Robert Mitchell), une question revient : quel héritage des années 1970, 80 ou 90 devons-nous emmener avec nous ou au contraire abandonner au moment d’embrasser pleinement le XXIe siècle ?
Plus de vingt ans après les faits et alors que le rappeur de 20 ans XXXTentacion vient d’être assassiné dans les mêmes circonstances (drive-by shooting) que ses deux aînés morts à 24 et 25 ans, l’Amérique dépeinte dans Classé sans suite tente de s’expliquer avec les fantômes d’une jeunesse dont les meurtriers n’ont jamais été identifiés.
Quand on sait que ce double meurtre donnera lieu à un film en fin d’année – City of Lies de Brad Furman avec Johnny Depp dans le rôle de Russell Poole –, il devient clair que cette non-justice résonne avec le présent du pays. Dans une Amérique postvérité, Classé sans suite est le trajet d’une obsession – découvrir la vérité – autant que d’un triste constat – l’impossibilité d’y accéder. Bruno Deruisseau
Classé sans suite Saison 1 sur Netflix
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