The OA, la série de et avec Brit Marling, a créé l’événement dès sa mise en ligne surprise à Noël sur Netflix. Comment une jeune actrice qui ne se voyait proposer que des rôles de blonde dans des films d’horreur est devenue l’auteur et l’interprète d’une des œuvres les plus fascinantes du moment.
“J’emmerde les matérialistes qui ont dit : ‘Je croirai ce que je verrai’. Il y a tant de choses auxquelles je trouve utile de croire et que je ne vois pas.” Un jour d’octobre 2014, Brit Marling a partagé avec ses abonnés Twitter cette profession de foi en faveur de l’invisible. Exiger un angle rêveur sur la vie tout en restant collé au plus près du sensible et des soubresauts du réel, voilà ce que la jeune femme de 33 ans incarne.
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Elle aurait pu rester dans le semi-anonymat d’une jeune actrice américaine indé à la blondeur évanescente, abonnée au festival de Sundance – son arrivée sur les radars date du film Another Earth, réalisé par son ex-compagnon Mike Cahill en 2011 –, mais il se trouve que de plus en plus de monde admire Brit Marling.
Guide de survie par temps de catastrophe
La série The OA, que la native du Michigan a cocréée, coécrite et dans laquelle elle tient avec une classe totale le rôle principal, fait office d’attrape-cœur hivernal en mélangeant une forme de science-fiction tirant vers le merveilleux et une histoire intense et dure. Un genre de guide de survie par temps de catastrophe, saturé de stupeur et de tremblements.
Marling interprète Prairie, l’héroïne, disparue depuis sept ans quand elle réapparaît dans sa famille adoptive. Elle était aveugle, elle ne l’est plus. Lors de réunions nocturnes, elle révèle à quelques lycéens et une de leurs profs son secret : sa capacité à revenir du royaume des morts depuis qu’elle est tout petite. Il faut y croire puisqu’elle le demande.
Les trouées vers un autre monde et l’espoir d’une libération se dessinent au fil des huit épisodes
Mais que lui est-il vraiment arrivé ? A-t-elle été séquestrée ? Prairie raconte à ce petit groupe soudé une histoire : sa captivité dans les griffes d’un savant fou intéressé par les expériences de mort imminente. Les trouées vers un autre monde et l’espoir d’une libération se dessinent au fil des huit épisodes à la forme souple et mouvante – on glisse d’un certain réalisme social à des moments de pure féerie.
Une réflexion fine sur les puissances de la parole et du récit s’y ajoute, que Brit Marling fait tenir sur ses épaules avec une intensité de possédée et une subtilité de grande actrice. Pour elle, le don absolu de soi, corporel et psychique, cimente toute interaction humaine.
« Un désir de parler de traumas”
Avant d’offrir au monde l’étrangeté et la douceur captivantes de The OA, Brit Marling a passé, selon ses termes, “deux ans à rêver debout et six mois en salle d’écriture” avec son partenaire créatif Zal Batmanglij. Au téléphone depuis Los Angeles, sa voix est celle d’un irrésistible petit chaton. Son discours, lui, s’ancre dans une conviction clairvoyante.
“The OA s’est épanouie dans nos têtes car nous avions envie de plusieurs sujets. Le premier, ce sont les expériences de mort imminente. Nous avons étudié les pionniers qui en ont documenté la réalité, puis rencontré des personnes ayant connu une plongée consciente vers la mort. Quelles que soient les cultures, les récits convergent, les survivants forment une véritable communauté. L’autre axe, c’est notre désir de parler de traumas, comment les gens en sortent et potentiellement les dépassent.
Pour moi, les récits et les histoires sont de puissants réparateurs d’âme, permettant de donner un sens à l’insensé. Enfin, nous avions envie de mêler ces domaines parfois abstraits avec l’ambition concrète de parler des adolescents du Midwest américain. La technologie leur offre la promesse d’un ailleurs en rendant de nombreuses choses accessibles, mais la pression constante sur le fait de communiquer avec les autres peut les oppresser. Nous avons fait le pari que le récit d’une jeune femme qui a traversé une aventure extraordinaire pouvait les réunir, créer un rituel apaisant pour eux.”
Un stratagème fictionnel très sophistiqué
La fiction comme un baume pour réparer les âmes ? Brit Marling ne pouvait pas tomber mieux pour combler une époque en recherche permanente de consolation. C’est sa force : elle paraît venir d’un autre monde, petite chose singulière et fragile, mais elle touche juste et fort. Son stratagème fictionnel pour y parvenir s’avère même d’une grande sophistication.
Dans The OA, les expériences de mort imminente et de résurrection montrées ou racontées permettent un glissement de sens et de vision. La question de leur crédibilité n’est pas un enjeu. Elles sont une manière d’affirmer en creux que revenir d’un trauma, quel qu’il soit, ou survivre à une violence, c’est revenir de la mort. Un voyage que Prairie a connu, victime d’un mal sur lequel elle tente de mettre mots et images.
“Les personnages de The OA touchent les limites de ce que nous considérons comme l’expérience humaine”
La voix toujours tremblante, Marling éclaire le sens de la série, sans en déflorer le secret : “Les personnages de The OA touchent les limites de ce que nous considérons comme l’expérience humaine. Il y a l’idée de passer une frontière. Quelque chose arrive qui vous pousse dans une autre dimension. L’ancienne version de vous-même meurt et vous devenez quelqu’un d’autre. Certaines personnes qui ont enduré un traumatisme ont parfois la possibilité de communiquer leurs sensations et leurs sentiments. Cela leur donne des idées neuves, parfois un nouveau sens moral.”
A contre-courant de beaucoup d’artistes à fleur de peau prompts à l’autofiction, Brit Marling donne peu de détails sur sa propre vie. Tout juste concède-t-elle que l’adolescence a été vécue comme une mutation brutale. “Je ne sais pas comment c’était pour vous, mais de mon côté, quel bordel quand mon corps a été pris en otage par la puberté !”
“Les amis servent à vous aider à tout éclaircir”
Devenue adulte, elle a étudié l’économie et le cinéma à l’université de Georgetown à Washington, rencontrant Mike Cahill et Zal Batmanglij, avec qui elle a entamé une collaboration comme scénariste et comédienne. Plusieurs films réalisés par le premier (jusqu’à I Origins en 2014) et par le second (Sound of My Voice en 2011 et The East en 2013) sont nés de ces années parfois compliquées.
“Si personne ne vous pousse à continuer dans la voie que vous avez choisie, vous commencez à imaginer qu’il faut se conformer. Raconter les histoires de manière linéaire, par exemple. Les amis servent à vous aider à tout éclaircir. C’est comme faire partie d’un groupe de musique. Parfois, on rencontre des gens qui ont la même orientation artistique et intellectuelle, même s’ils jouent d’autres instruments. Moi, j’ai mis des années avant que ce que j’imagine et ce que j’écrive ne coïncident. Zal, avec qui j’ai créé The OA et qui a réalisé la série, m’y a beaucoup aidée. J’admire tellement sa créativité et son esprit…”
Quand elle a décidé de tenter sa chance comme actrice à Hollywood, au milieu des années 2000, Marling se voyait proposer des rôles de blonde forcément mal barrée dans des films d’horreur. Déclinés. Elle avait refusé une offre d’emploi chez Goldman Sachs à l’issue d’un stage, ce n’était pas pour accepter n’importe quoi, quitte à se nourrir de conserves.
“Si les récits n’existent pas, il faut les inventer”
“Parfois, je me demande ce qui serait arrivé si j’avais été un homme. J’aurais probablement trouvé des rôles intéressants puisqu’il existe un large panel d’histoires masculines. En tant que femme, j’ai ressenti un conflit intérieur intense. J’avais très envie d’être comédienne, j’y pensais comme à quelque chose de transcendant et de magique. J’aimais l’idée d’inventer d’autres dimensions avec mon corps, mes muscles et ma voix. Mais en voyant les projets qui m’étaient proposés, j’ai compris que tout cela aurait un coût : sacrifier une partie de moi.
J’ai préféré apprendre à écrire. J’épluchais les manuels de scénario, je lisais les mauvais scripts qu’on me soumettait. Je cherchais quelque chose qui ait trait avec la mythologie féminine. Si les récits n’existent pas, il faut les inventer. Quand ils lisent pour la première fois les livres d’Elena Ferrante, les gens se disent : ‘voici ce à quoi ressemble une voix dans un espace féminin’. Je voulais m’inventer une route dans cette nature sauvage.”
“Ce qui se passe autour des créatrices à Hollywood est excitant”
Cette route est aujourd’hui un ample territoire, tant Brit Marling semble avoir, avec quelques autres, la possibilité de contrôler son art. En plus de jouer et d’écrire, elle est également productrice. “Ce qui se passe autour des créatrices à Hollywood est excitant. Les récits mettant en scène des femmes n’ont pas à appartenir à une seconde classe. En voyant la première saison de Transparent, mon esprit a été renversé. Jill Soloway est une scénariste et une penseuse incroyable.
Les jeunes femmes ont de plus en plus d’exemples auxquels se référer et se permettent de rêver. Les statistiques globales sont encore mauvaises mais j’ai entendu dire qu’en première année d’études de réalisation à l’American Film Institute, la moitié de la classe est constituée d’étudiantes.”
« L’impression de toucher un autre monde”
Le mot “rêver” apparaît de nouveau dans la conversation et il n’est jamais à prendre à la légère avec Brit Marling. Elle est capable de partir très loin, expliquant calmement qu’elle aimerait disposer d’autres sens que les cinq façonnés par la nature. “J’ai l’impression que le monde autour de nous est immense et que nous n’entrons pas assez en contact avec lui. Notre perception n’est pas suffisamment développée. Certaines espèces ne voient pas la lumière, même quand elle est là, ou n’entendent pas certains sons… Eh bien je me sens comme cela en tant qu’humaine, notamment par rapport au temps. J’ai l’impression que mes sens sont limités. Je ne sais pas à quoi ressemblerait cet organe qui aiderait à mieux percevoir, mais j’y pense tout le temps.”
Avant de dire au revoir, peut-être pour aller écrire la deuxième saison de The OA – pas encore confirmée –, Brit Marling donne son sentiment sur ce qui l’occupera probablement pour longtemps : “Ce que je préfère dans le cinéma, et je pourrais tout aussi bien parler de la série, c’est qu’il fonctionne comme un médium poétique, une juxtaposition d’images et de thèmes qui peuvent donner l’impression de toucher un autre monde.
Il est permis d’atteindre un moment où le spectateur ressent du merveilleux, de la stupéfaction. Il se passe quelque chose d’impossible dans l’histoire, mais cet impossible prend corps et même les acteurs le ressentent. C’est un sentiment très beau à ramener dans nos vies engluées. Je cherche toujours la possibilité que l’impossible survienne.” Hollywood a trouvé son ange.
The OA sur Netflix
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