Après le succès de “P’tit Quinquin”, Bruno Dumont réalise une suite où le héros peu ordinaire se retrouve parmi les extraterrestres. Tous·toutes aux abris !
C’est une rencontre du troisième type à laquelle nous convie Bruno Dumont avec cette mini-série. L’occasion de voir débarquer des aliens dans le paysage si consensuel de la télévision française. Quatre ans après P’tit Quinquin, carton d’audience aussi imprévu qu’historique, Bruno Dumont revient en 2020 avec une suite ébouriffée, Coincoin et les Z’inhumains. “Coincoin” parce que le personnage principal devenu ado a gagné avec les années un nouveau surnom ; “Z’inhumains” parce qu’il est question ici d’extraterrestres : une substance visqueuse inconnue tombe du ciel à répétition sur les terres du Nord, près de Calais, où le commandant Van der Weyden et son adjoint Carpentier mènent l’enquête. Enfin, l’enquête… Ils passent le plus clair de leur temps à faire rouler leur voiture de gendarmerie sur deux roues, comme s’il fallait regarder le monde de biais car il ne tourne plus rond.
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Le cœur absurde de Coincoin et les Z’inhumains est indéniable, une manière de constater, avec un mélange de joie et de terreur, que le réel se dérègle sans cesse. Des parois de grange s’effondrent, un joggeur ahuri fait une chute, les mots n’ont pas toujours de destinataire : le burlesque est ce qui parasite le monde, ou, plutôt, ce qui révèle ce champ de forces contradictoires explosif qu’on appelle le monde.
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Le pouvoir de la farce
Ces nouveaux épisodes rejoignent l’imaginaire mouvant de Twin Peaks, dont la troisième saison apocalyptique semblait elle-même reprendre à son compte la célèbre réplique du gendarme Van der Weyden : “On est au cœur du mal.” Dans un effet de circulation saisissant, il est d’ailleurs question de doubles dans Coincoin et les Z’inhumains, en écho involontaire aux oppositions entre l’agent Cooper et ses multiples versions (violente ou décervelée) dans la série de David Lynch. Dumont excelle à jouer plastiquement avec ces “clones” que le héros-gendarme appelle “clowns”. Le pouvoir de la farce demeure.
Malgré le flux non-événementiel du récit – nous sommes devant un genre d’anti-manuel du fantastique policier –, des conflits émergent. Les doubles incarnent la tentation du même, alors que l’altérité frappe à la porte constamment. Les 4 épisodes de cette saison 2 sont traversés par l’arrivée presque magique de l’inconnu – une lesbienne butch, des migrants installés dans un campement, cette matière bizarre tombée du ciel – dans un univers homophobe et raciste où tout ce qui dénote dérange. Coincoin est désormais colleur d’affiches pour le “Bloc”, une version à peine déguisée de l’ex-Front National. La France déchirée montre son nez sous la comédie.
De la tendresse
Mais quand la première saison prenait en compte la violence potentielle du dispositif, en montrant notamment la mort du personnage discriminé de Mohamed, on a parfois l’impression que Dumont ne sait pas vraiment où se situer ici, comme si son désir de filmer ce qui dérange (un héros raciste) ne l’engageait plus outre mesure. Les migrants sont réduits à des figures sans intérêt, de purs éléments de décor. La mélancolie politique radicale de Twin Peaks n’est certainement pas l’horizon du cinéaste/téléaste, qui préfère montrer comment tout ce qui ne se ressemble pas peut malgré tout coexister. La longue séquence finale, qu’on ne dévoilera pas, enregistre ce bordel étonnant.
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Ce qui rend la série Coincoin et les Z’inhumains attachante se situe peut-être ailleurs, dans une forme de douceur, voire de tendresse, qui s’exprime dans la relation d’amitié entre les gendarmes, vraiment étonnante, et dans l’apprentissage de l’amour et de la sexualité par Coincoin. Dumont apprivoise alors sans vraiment le formuler la beauté de l’art sériel, qui fait du temps un allié pour les personnages, en leur offrant des trajectoires sobres et limpides qui les rendent simultanément à leur mystère.
Coincoin et les Z’inhumains, diffusé ce jeudi 17 juin à 20 h 55 sur Arte.
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