Ce thriller psychologique d’essence chabrolienne brille plus par la qualité de ses interprètes que par l’originalité de son dispositif.
“Que la bête meure !” : prononcée dès le titre, cette sentence à la fois programmatique et irrévocable donne le ton d’un récit qui ne s’embarrasse pas tant de dénouer la culpabilité de son crime originel ou d’en définir la sanction que de scruter les rouages dramatiques et psychologiques de son exécution. Que reste-t-il du thriller policier quand on lui ôte sa part de mystère et ses questionnements moraux ? Des figures en quête de vengeance ou de rédemption, qui s’entrechoquent comme des insectes dans le vivarium d’un entomologiste qui chercherait à comprendre la mécanique de leurs actes.
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Frances Cairnes (Cush Jumbo) a perdu son fils de 6 ans lors d’un séjour sur l’Île de Wight, où un chauffard l’a renversé avant de prendre la fuite. Diligentée par la police locale, l’enquête a été suspendue faute de preuves suffisantes. Décidée à rendre justice, la mère endeuillée mène ses propres recherches et finit par s’immiscer dans la vie familiale de George Rattery (Jared Harris), un millionnaire local qu’elle considère comme le coupable. Au même moment, Nigel Strangeways (Billy Howle), un jeune inspecteur traumatisé par la mort de sa coéquipière, prend ses fonctions dans le commissariat insulaire et hérite du dossier.
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Un classique du roman policier
Première série dramatique tournée exclusivement pour le service de streaming BritBox, The Beast Must Die est une adaptation moderne de Que la bête meure, classique du roman policier écrit en 1938 par Nicholas Blake et déjà porté à l’écran par Claude Chabrol en 1969. Écrite par Gaby Chiappe et mise en scène par Dome Karukoski, la série s’offre comme un thriller psychologique tendu et orchestre un jeu du chat et de la souris entre deux personnages antagonistes.
Portée par des interprètes solides – on y découvre une Cush Jumbo (The Good Fight) très habitée et un Jared Harris, croisé dans Mad Men ou The Crown, d’une cruauté vénéneuse –, The Beast Must Die apparaît en premier lieu comme une œuvre décevante, où tout se joue sous la surface des apparences et entre les lignes d’une forme classique qui ordonne sans éclat les figures archétypales du roman policier – flics ripoux et policier meurtri, bourgeois cynique et épouse maltraitée…
https://youtu.be/j-PA6GXwcrU
Il faut, pour en apprécier la saveur discrète, chausser des lunettes chabroliennes dont le filtre nous révèle les pulsions mortifères de personnages pétris d’ambiguïtés, que le récit finira par renvoyer dos à dos. En se faisant passer pour une romancière en quête d’inspiration, Frances reprend la main sur une narration dont l’accident initial l’avait violemment dépossédée, quitte à se réinventer dans le rôle qu’elle combattait.
Cette réappropriation d’une existence par le crime se noue dans le terreau éminemment chabrolien de la bourgeoisie “de province”, univers codifié où tout est sous contrôle car sans cesse soumis au regard de l’autre – ici, une domestique discrète mais omniprésente – et dont la tyrannie des apparences finira par vaciller. Signe d’une discrète actualisation du roman, les règlements de comptes mettent en lumière, au-delà des rapports de classes qui structuraient l’œuvre originale, une domination de la figure masculine sur les femmes qui l’entourent et un racisme latent – la justicière autoproclamée est une femme noire, dont la couleur de peau attire la méfiance de la famille blanche qu’elle infiltre.
Le récit serait un peu sec s’il se limitait à ces confrontations psychologiques et ces oppositions schématiques, mais il est irrigué par les affects incontrôlables qui étreignent ses figures, du souvenir insistant d’un·e proche disparu·e au ressentiment violent attisé par les humiliations successives. Pas toujours finement restitués, ces débordements viennent néanmoins troubler la surface d’une série criminelle moins lisse qu’elle n’y paraît.
The Beast Must Die de Gaby Chiappe, avec Cush Jumbo, Jared Harris, Billy Howle. Sur Canal + depuis le 21 juin
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