L’œuvre littéraire ample et tourmentée de l’auteur américain Philip K. Dick sert de matière première à une anthologie de science-fiction travaillée par la manipulation du réel, disponible dès aujourd’hui sur Amazon Prime video. (Spoilers)
Cet article contient des révélations sur la série Philip K. Dick’s Electric Dreams.
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À l’instar de celui de Stephen King pour l’horreur, le nom de Philip K. Dick s’est imposé comme un véritable label cinématographique et télévisuel, et son œuvre un filon inépuisable de récits pour les producteurs, scénaristes et réalisateurs friands de SF tourmentée. Alors que Black Mirror, l’anthologie de Charlie Brooker made in Netflix qui scrute les obsessions de l’époque via notre addiction aux nouvelles technologies, fait figure de véritable phénomène culturel, Amazon, l’autre leader du marché de la vidéo à la demande, présente au public un concurrent de taille. Après l’intrigante The Man in the High Castle, l’auteur de Minority Report et Ubik est à nouveau à l’honneur avec Electric Dreams (formule inspirée du titre original de Blade Runner, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?), collection de dix récits indépendants adaptés de ses nouvelles de jeunesse.
Coproduite par Ronald D. Moore, le cerveau de Battlestar Galactica, avec la bénédiction des héritiers de l’écrivain et sous le double patronage de Sony et de Channel 4 (la chaîne d’origine de Black Mirror, ça ne s’invente pas), l’anthologie s’avance comme un projet ambitieux bardé de collaborateurs prestigieux. On remarquera, entre autres, les présences de Jack Thorne (le dramaturge d’Harry Potter et l’enfant maudit) à l’écriture et d’Alan Taylor (Game of Thrones) à la mise en scène, ainsi que le casting cinq étoiles accueillant notamment Geraldine Chaplin, Brian Cranston, Timothy Spall, Steve Buscemi, Anna Paquin, Juno Temple ou Greg Kinnear. Derrière sa carrosserie clinquante, que vaut cette nouvelle incursion dans l’imaginaire torturé de l’écrivain américain ?
Le réel n’est pas ce que l’on croit
Si les motifs de son œuvre sont aujourd’hui ancrés dans l’inconscient collectif, Philip K. Dick a vécu dans une relative pauvreté, et a surtout bénéficié d’un succès posthume à partir de l’adaptation de Blade Runner par Ridley Scott en 1982. Solitaire et torturé, l’homme collectionnait un bel assemblage de névroses, de la paranoïa sévère à l’usage irraisonné de drogues et médicaments. La science-fiction, probablement découverte dans les pulps d’après guerre, sera pour lui le moyen d’exorciser ses angoisses profondes. Dispersée entre nouvelles, romans et essais autoréflexifs, l’œuvre se révèle pourtant extrêmement cohérente, traversée par des questionnements vertigineux.
Chez Dick, le réel est toujours sujet à caution, et ses contours souvent manipulés par les puissants ou la technologie. Quant à l’humain, il peut voir ses souvenirs recomposés ou son enveloppe augmentée. Ses personnages cherchent à trouver des prises solides dans un environnement malléable, des points de repères au sein d’uchronies ou de dystopies tour à tour glacées et glaçantes dans lesquelles la surveillance généralisée, les dérives eugénistes ou la manipulation des consciences font figure de norme.
Un futur de papier glacé
Magnétisée par cette idée centrale du « mirage du réel », la série tente, dans chacun de ses épisodes, d’en écailler le vernis. Ainsi, le gamin de The Father Thing est le seul à remarquer qu’un alien aux motivations sinistres a pris possession du corps de son père, l’employé de gare de The Commuter (probablement l’épisode le plus touchant de la saison) éprouve la matérialité d’une ville imaginaire, les pilotes de vaisseau touristique de La Planète impossible appliquent des filtres colorés sur les vues spatiales pour les pimper, quand l’héroïne de Real Life en vient même à douter de sa propre existence.
Hélas, malgré l’indéniable qualité du matériau d’origine et l’application sincère de ses artisans, Electric Dreams souffre de son format trop étriqué, les 50 minutes règlementaires des épisodes ne permettant que rarement de dépasser leur pitch de départ. La mise en scène, extrêmement léchée, matérialise des visions envoutantes de papier glacée, et offre un panorama de SF appliqué mais convenu, qui échoue à provoquer le trouble. On est loin de l’ambiance poisseuse et néo film noir du Blade Runner originel, ou du malaise distillé par le Minority Report de Spielberg. Les technologies convoquées (voyage spatial, échange des consciences ou guerres extraterrestres) sont quant à elle trop lointaines pour créer, comme le fait Black Mirror, un écho inquiétant avec notre époque.
Si elle se savoure néanmoins avec plaisir, le principal défaut d’Electric Dreams est sa transposition trop scolaire de l’imaginaire Dickien, marquée par une incapacité à en réactualiser les motifs. En résultent des rêveries illustratives mais inoffensives, qui manquent cruellement d’électricité.
Philip K. Dick’s Electric Dreams, disponible le 12 janvier 2018 sur Amazon Prime Video.
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