Après avoir accompagné la renaissance de Doctor Who et dépoussiéré Sherlock Holmes dans une version contemporaine électrique, Steven Moffat et Mark Gatiss s’attaquent à Dracula. Créée pour la BBC et disponible sur Netflix, leur mini-série ne manque pas de saveur mais perd progressivement en intensité.
Cet article comporte des révélations sur la mini-série Dracula.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Début 2014, les spectateurs de la série Sherlock comprenaient que le cercueil du détective, censé avoir péri à la fin de la saison précédente, était vide. Dans un de ces twists alambiqués dont ils ont le secret, ses showrunners Steven Moffat et Mark Gatiss offraient à leur héros le pouvoir de tromper la mort – du moins en apparence. Six ans plus tard, le duo joue à nouveau les profanateurs de sépulture et déterre l’immortel le plus célèbre de la culture populaire britannique : le comte Dracula.
Une synthèse généreuse mais inégale des adaptations précédentes
Fidèle à l’esprit du roman de Bram Stoker, la mini-série n’opère pas sur le vampire transylvain un dépoussiérage aussi vigoureux que celui réservé aux personnages d’Arthur Conan Doyle, mais procède plutôt par ajustements ponctuels pour effectuer une synthèse des précédentes adaptations du mythe. Au gothique hanté des productions Universal des années 30 répond l’élégance trouble dont Christopher Lee avait doté le personnage, et aux outrances baroques de la version de Francis Ford Coppola un esprit bis hérité des années 70.
Cet aspect composite est particulièrement saillant au regard de la différence de traitement réservée aux trois épisodes. À un premier chapitre labyrinthique et touffu dans le château du comte succède un huis clos maritime plus effilé, sorte de relecture sanglante de La Croisière s’amuse, avant qu’un rebondissement inattendu ne projette Dracula dans l’Angleterre d’aujourd’hui.
Vision d’horreur et grand guignol
Mélangeant les registres avec générosité, Moffat et Gatiss alternent les visions d’horreur (un ongle arraché en gros plan, une mouche qui se faufile derrière l’œil d’un personnage ou des mutations visqueuses) et le grand – guignol parodique, saupoudrent leur création d’un anticléricalisme irrévérencieux et la pimentent d’un humour british savoureux.
Si leur savoir-faire est intact, leur inspiration semble comprimée par le mythe qu’ils entendent honorer et s’épuise un peu sur la durée. Propice à une déconstruction méta de la figure vampirique, le final contemporain brille plus par ses gags bien sentis (Dracula subit une prise de sang ou cherche ses prochaines victimes sur Tinder) que par sa finesse de trait, et peine à retrouver l’ivresse pulp des débuts.
L’archétype d’une espèce vouée à disparaître
L’aspect le plus novateur de la série réside dans le traitement réservé à ses personnages principaux. Placé en pleine lumière, le vampire, cette fois bisexuel (ou plutôt bi-homicide), perd en mystère ce qu’il gagne en complexité psychologique et présente tour à tour les visages du tortionnaire sadique, du dandy ringard ou de la bête mélancolique. Son interprète Claes Bang semble prolonger inconsciemment le rôle de conservateur de musée lâche et cynique qu’il tenait dans The Square en faisant de la créature un archétype de masculinité toxique tellement sûr de son pouvoir et de ses privilèges qu’il en devient pathétique.
Face à lui, le professeur Van Helsing, devenu sœur Agatha Van Helsing par la grâce d’une liberté scénaristique, cristallise une modernité qu’il ne parviendra pas à abattre. « Je suis tous vos cauchemars réunis : une femme éduquée enchâssée dans un crucifix », lui assènera cette dernière avec panache lors de leur rencontre. Tout en renversant la dynamique érotique ordinairement attachée au genre (fini les fiancées saphiques, c’est ici le vampire qui se retrouve nu face à une assemblée de nonnes), ce duo inédit met en exergue la lâcheté et les faiblesses du prédateur. Confis dans un jus centenaire, ce ne sont plus les grigris folkloriques (pieux de bois ou balles en argent) que doit craindre le vampire, mais son propre état de relique et la fin programmée de son règne.
Dracula, de Steven Moffat et Mark Gatiss, avec Claes Bang, Dolly Wells, Olivia Klein… Disponible sur Netflix.
{"type":"Banniere-Basse"}