Rejeter les clichés ou les avaler coûte que coûte comme du champagne en soirée : la série de Darren Star provoque des émotions contradictoires, fidèle à la tradition du créateur de “Melrose Place”.
Il y a plusieurs manières de regarder Emily in Paris si on ne s’endort pas devant. La première consiste à la voir comme un gros gâteau de mariage, une pièce montée fictionnelle aux goûts prévisibles et chiants, une montagne de clichés montés au beurre.
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À choisir cet angle, on risque deux choses. Première option : l’indigestion immédiate, le décrochage ultra rapide après un épisode, voire une scène. C’est possible et honorable. Au cas où l’on déciderait de persister tout en résistant au charme sucré de l’ensemble, le risque se profile, assez épuisant, de devenir un spectateur ou une spectatrice comptable, occupé·e à faire la liste des invraisemblances, des comportements absurdes, des tenues folles (Patricia Field, la designeuse de Sex and The City, 79 ans, travaille comme consultante sur la série), des vues sur un Paris nettoyé de toute sa diversité sociale, des retournements narratifs so Netflix, des étranges choix de casting, des placements de produits LVMH au bord de réinventer la coupure pub pour le streaming, d’une flopée d’autres excès qui font d’Emily in Paris, il faut bien le dire, une petite machine bien éloignée de ce qu’on avait imaginé que les séries devaient être en 2021.
Le style Darren Star
L’élément le plus fragrant, du point de vue métaphorique, tient dans le champagne que l’héroïne (qui travaille comme aide à la stratégie digitale pour des marques) promeut depuis la première saison et encore plus dans les dix nouveaux épisodes : celui-ci ne se boit pas, puisqu’il est apparemment dégueulasse, mais il est conçu pour être secoué et pulvérisé en mode finale de coupe du monde ou concours de t-shirt mouillé, idéalement à Saint-Tropez. De là à y voir le signe d’une régression esthétique, il n’y a qu’un pas, que Darren Star, le créateur sexagénaire, n’avouera jamais qu’il l’a franchi depuis bien longtemps.
Il faut se souvenir que cet homme a donné au monde deux des soaps les plus iconiques de ces trois dernières décennies, Beverly Hills, 90210 et Melrose Place. Si ces deux cartons années 1990 – méprisés par beaucoup, néanmoins – portaient la signature du producteur Aaron Spelling, Star a tout appris auprès de lui, avant de créer (entre autres) Sex and the City, dont il n’a plus écrit d’épisodes après la troisième saison. Son style, fait d’outrances et d’une vision à la fois pointue et partielle de l’époque, a traversé les âges et se retrouve tel quel dans cette histoire somme toute classique d’une jeune femme à la recherche d’une nouvelle vie.
Malin et kitsch
Dans cette deuxième saison, Emily, qui a fini par se plaire dans la capitale française, se retrouve au centre d’un bordel sentimental qu’elle a créé un peu malgré elle, après avoir couché avec le beau Gabriel, un chef d’un nouveau genre (il utilise des produits de saison : révolution), malheureusement maqué avec l’une de ses clientes et amies. Avouons-le tout de suite, rester indifférent·e à leur potentiel ménage à trois relève de l’exploit que l’auteur de ces lignes n’a pas accompli.
Assez maligne – ou kitsch, ou les deux –, la série emmène carrément son personnage principal voir Jules et Jim au Champo avant d’en parodier une scène pour mieux nous expliquer son projet. Ce goût pour la cinéphilie old school devenu bonbon à mâchouiller n’a rien de punk, mais éclaire le désir profond d’Emily in Paris, une série faite de constants pas de côté fantaisistes assez plaisants, qui donnent envie de fureter à travers les épisodes en croyant pouvoir faire autre chose, mais en n’y arrivant pas tout à fait.
Fantasme
Hormis la joie (et la petite gêne) constante que procure le visionnage, la principale qualité de ces nouveaux épisodes tient à la manière dont ils font avancer à peu près toutes leurs intrigues sentimentales, y compris celles de la boss de l’agence de marketing, une quinqua jouée par Philippine Leroy-Beaulieu, avec suffisamment de premier degré pour rester collé aux choix de ses héroïnes.
Certes, les scénaristes n‘ont pas le choix, ce sont les seuls personnages qui possèdent un minimum de vie intérieure. Mais on apprécie par exemple que les relations entre “rivales” dépassent justement la rivalité, pour inventer d’autres circulations. Emily in Paris est d’ailleurs un véritable voyage, aussi marrant et absurde qu’une traversée de la France en train de nuit à couchettes qui n’existe pas (cf. l’épisode 2), mais devenu indispensable.
Dans son dernier mouvement, Emily in Paris met en scène avec une certaine ironie sur elle-même l’idée que la vision qu’ont les Américain·es de la France ne vaut pas grand-chose. On sent que Darren Star et son équipe, à défaut de vouloir filmer un Paris “réaliste” – d’ailleurs, que filment-ils et elles vraiment, si ce n’est des fantasmes ? –, croient aux histoires que produit la ville. Ils ont certainement vu Dix pour cent et s’en inspirent. Cela suffit à nous donner envie de voir la suite des aventures un peu toc mais plaisantes d’une héroïne qui semble à l’abri de tous les malheurs du monde.
Emily in Paris saison 2. Sur Netflix.
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