Boots Riley dépeint les aventures d’un ado hors normes, dans une création à la mise en scène en surrégime.
Connu à l’origine comme chanteur et beatmaker dans les groupes The Coup et Street Sweeper Social Club, Boots Riley avait fait une entrée fracassante dans le monde du cinéma avec Sorry to Bother You (2018). Suivant l’ascension sociale d’un jeune homme noir fauché dans l’univers du télémarketing, cette farce cinglante étrillait, à grand renfort de trouvailles narratives et visuelles, la façon dont le système capitaliste génère de l’injustice sociale en exploitant les plus faibles.
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On retrouve immédiatement sa patte d’artiste engagé dans I’m a Virgo (“Je suis Vierge”), série déjantée dont il réalise l’intégralité des épisodes. Doté dès la naissance d’une taille hors normes, Cootie a grandi à l’abri des regards jusqu’à atteindre quatre mètres de haut. Maintenu enfermé par des parents convaincus que le monde n’est pas prêt à l’accepter, il s’en est construit une image distordue par la lecture de comics et les images télévisées. Jusqu’au jour où, n’y tenant plus, il sort de sa caverne pour appréhender le réel par lui‑même.
Pourquoi être un géant s’il faut vivre en courbant l’échine ?
Fixée à cet improbable postulat biologique, I’m a Virgo s’offre comme l’éveil au monde d’un candide. Ce procédé à haute teneur philosophique noue le récit d’apprentissage et ses étapes incontournables à la critique de mécanismes sociaux saisis par le regard “vierge” du personnage. Comme un croisement entre le film Jack de Francis Ford Coppola et la série Atlanta de Donald Glover, la singularité de Cootie questionne le rapport à la norme et cristallise par l’absurde le vécu de la communauté afro-américaine, dessinant une expérience minoritaire au carré.
Comme on peut s’y attendre, la taille du personnage structure la mise en scène en des jeux d’échelles périlleux et de décalages savoureux, et arme la charge politique du projet d’une métaphore extrêmement concrète. Incapable de se tenir droit dans des pièces trop exiguës pour lui, Cootie doit vivre en courbant l’échine – posture qui résonnera avec les multiples tentatives de ses employeur·ses ou des institutions de l’utiliser en lui déniant une part d’humanité.
Un super-héros facho, une révolte communiste, un dessin animé grinçant
Cette figure de freak est hélas prise dans une narration en surrégime qui sature les espaces visuel et sonore – on pense parfois à Jeunet ou aux mauvais Gondry – sans la laisser pleinement exister. Multipliant les pas de côté (un super-héros facho, l’embryon d’une révolte communiste ou l’obsession des personnages pour un dessin animé grinçant), elle dilue le potentiel de fascination de sa figure centrale. Plongée dans un monde semi-dystopique à la bizarrerie trop fabriquée, cette dernière voit son potentiel amoindri : il lui aurait fallu un référentiel plus terre à terre pour déployer pleinement sa puissance dialectique.
I’m a Virgo de Boots Riley, avec Jharrel Jerome, Carmen Ejogo, Walton Goggins. Sur Prime Video.
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