La série créée par Phoebe Waller-Bridge entame sa dernière ligne droite en se répétant beaucoup, mais en offrant un beau terrain de jeu à ses actrices.
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À son arrivée au printemps 2018, Killing Eve a fasciné d’emblée par le pedigree de sa créatrice, Phoebe Waller-Bridge, tout juste auréolée du succès de Fleabag et déjà considérée comme le messie des séries contemporaines. Quatre ans plus tard, la Londonienne a quitté le navire – qu’elle suit de loin, avec un titre de productrice – et laissé les clefs à plusieurs autres femmes scénaristes, une par saison. Emerald Fennell avait dirigé la deuxième, Suzanne Heathcote la troisième, tandis que celle qui arrive cet hiver a été confiée à Laura Neal, avec la pression de conclure le relais.
La quatrième saison de Killing Eve se trouve en effet être la dernière, qui conclut de manière ferme et définitive le jeu de la chatte et de la souris entre la psychopathe et tueuse à gages Villanelle (Jodie Comer) et celle qui la traque avec plus ou moins de sévérité, Eve Polastri (Sandra Oh), deux femmes qui se regardent, se frôlent, s’attirent et se haïssent depuis une bonne vingtaine d’épisodes. On peut aussi ajouter à ce duo la formidable Carolyn Martens (Fiona Shaw, déjà présente dans Fleabag), peut-être le personnage le plus évolutif, en pleine descente depuis deux saisons.
Une danse macabre
Depuis le départ de Phoebe Waller-Bridge vers d’autres aventures, la série britannico-américaine (mise à l’antenne par la chaîne BBC America et la BBC 3 simultanément) a dû faire sans son génie, ce qui n’a pas toujours été une mince affaire, surtout pour nous, spectateur·trices attaché·es à la patte déviante, romantique et fluide de cette créatrice géniale. Et qu’est-ce qu’il est resté ? Les fondations malgré tout fortes d’une fiction qui transforme la série d’espionnage et en fait une sorte de danse macabre et cruelle entre femmes – ou presque, quelques hommes survivent – dans une atmosphère de fin du monde plutôt drôle, voire bizarrement agréable. C’est la touche Killing Eve : rendre funky une réalité absolument sordide, faite de destins tués dans l’œuf et d’êtres humains largement incapables de changer. Un psy explique d’ailleurs ouvertement la philosophie de la série dans le deuxième épisode de la nouvelle saison : “Se réinventer, c’est une forme d’évitement”.
Ici, on ne se réinvente pas, on varie sur le même thème. L’action reprend alors que Villanelle et Eve sont de nouveau séparées. On se dit que cela pourrait durer des années, dans une sorte d’ennui poli réveillé par des saillies violentes, amoureuses ou sensuelles. On se promène d’un pays à l’autre, tandis que la mécanique du récit semble tenir à un fil de plus en plus ténu. Killing Eve a globalement radicalisé au fil du temps ce qui faisait sa nature au départ. Nous sommes devant une série de scènes, où les moments comptent plus que l’ampleur dramatique au fil du temps. Les rebondissements n’ont jamais fait le sel de cette histoire, mais beaucoup plus des instants un peu fous, stylisés à l’extrême, où les sentiments des personnages explosent.
Female gaze
Dans cette dernière ligne droite, Killing Eve pourrait bien rejoindre Alias – que l’on adorait, soyons clair – dans la liste des shows d’espionnage qui se sont mordus la queue, mais que l’on a regardés jusqu’au bout par fidélité amoureuse un peu exagérée. Il n’y a pas de problème à le faire, d’ailleurs, puisque la passion des séries passe par ces temps faibles qui durent un peu trop, ces moments de nostalgie partagée où tout le monde sait, de chaque côté de l’écran, que ce qui se joue maintenant s’est déjà joué avant dans le récit, d’une manière ou d’une autre. Après quatre saisons, dans le monde pressé des plateformes, une série contemporaine a peut-être déjà fait son temps.
Si Killing Eve se distingue malgré tout – et mérite notre attention un peu plus que polie -, c’est encore et toujours par son point de vue féminin, plus précisément sa manière d’exalter et d’interroger en même temps une certaine violence des femmes. Les actions de Villanelle sont toujours aussi dégueulasses – même si elle se pique de religion – et celles de sa comparse ne règlent absolument rien. Il y a une manière de jouer avec le feu des sentiments et des gestes brutaux qui reste intéressante, y compris grâce à l’apport de Camille Cottin.
La Française revient cette saison pour étoffer son rôle de maîtresse-femme encore plus inquiétante que les autres. On retrouve également l’une des actrices de l’intéressante We Are Lady Parts (la plus stressée du groupe de punk-rock, pour ceux·elles qui l’auraient vue), Anjana Vasan. De manière profonde, la création de Phoebe Waller-Bridge aura servi de terrain de jeu passionnant à une génération d’autrices, d’actrices et de femmes en quête de création ébouriffée. Les derniers épisodes diront si elle a en plus réussi sa sortie, mais c’est peu dire que son existence dans le paysage contemporain un peu guindé et souvent trop sérieux a fait du bien. Killing Eve a incarné une certaine férocité sérielle, dans un esprit post-punk assez dingue, aussi dingue qu’Eve et Vilannelle. On l’aimera toujours pour ça.
Killing Eve saison 4 sur MyCanal à partir du 28 février
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