L’héroïne dépressive incarnée par Asling Bea touche au sublime dans six nouveaux épisodes aussi hilarants que poignants. Au programme : humour scato, maladie mentale et sororité.
Avant qu’elle n’apparaisse sur nos radars il y a deux ans, Aisling Bea manquait déjà à nos vies, mais nous n’en savions rien. De plus en plus connue dans le monde anglo-saxon pour ses spectacles de stand-up dispos sur Netflix et ses rôles sur petit et grand écran (The Fall, notamment, puis l’énième suite de Maman, j’ai raté l’avion, bientôt), l’Irlandaise explose enfin avec sa propre création, la merveilleuse This Way Up. L’histoire d’une trentenaire, Aine, qui sort au premier épisode d’un séjour en rehab, autrement dit d’un établissement psychiatrique où elle a tenté de soigner sa dépression. À elle maintenant de remonter la pente comme elle le peut.
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Faut-il vraiment en rire ? La réponse est oui. Depuis au moins Fleabag – que l’on ne présente plus –, les meilleurs pitchs de comédie contemporaine sont aussi les plus durs : le rire s’ancre dans la douleur et une force incroyable naît sur le fil du pire.
Les six nouveaux épisodes de This Way Up montrent qu’Aine va mieux – a priori. Elle enseigne toujours l’anglais à des personnes étrangères et se paie même le luxe de développer un projet de business, tout en fréquentant régulièrement le beau et endeuillé Richard qui vit désormais seul avec ses nouveaux problèmes d’érection. Surtout, elle passe beaucoup de temps avec sa sœur Shona (Sharon Horgan, cocréatrice de la belle Catastrophe, une perle), une femme dont l’existence même tient du miracle à ses yeux. Souvent, Aine la regarde en effet comme une apparition divine destinée non seulement à lui tenir compagnie dans son quotidien, mais aussi à la faire rire aux éclats.
Voici la première beauté de la série, la plus constante également : montrer deux femmes qui se font mutuellement marrer et mettre en scène cet échange comme une pulsion de vie irréductible et essentielle. Au programme de leurs conversations, pas mal de pipi-caca et quelques hémorroïdes, du cul plus ou moins glorieux raconté à demi-mot, de l’amour et de la mauvaise foi, mais aussi une manière très sûre d’évoquer les épreuves et les plaisirs du corps féminin, y compris quand il vieillit et ne brosse pas le marché de la séduction dans le sens du poil hétéro et masculin.
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Fais-moi rire et je vivrai sûrement mieux
Cette sororité d’une puissance folle, Horgan et Bea la façonnent ensemble comme des guerrières, plan par plan. Les deux actrices se connaissent et s’admirent depuis une dizaine d’années, ce qui renforce encore l’effet de réel. Elles occupent l’espace, dévoilent ce qu’elles ont envie de dévoiler. Leur liberté s’écrit devant nos yeux. Il n’est pas très difficile de deviner qu’une bonne partie de leurs scènes s’affranchit du canevas établi par Aisling Bea (qui écrit et réalise la série toute seule) avant d’atterrir ailleurs, après un passage express par la case improvisation. Ma sœur, fais-moi rire et je vivrai sûrement mieux : tel est leur belle ambition commune. Un spectacle aussi délicat que réjouissant, presque magique par moments. Grâce à elles, cette deuxième saison, plus précise et plus juste encore que la première, atteint des sommets qui placent la série parmi les toutes meilleures de ces cinq dernières années.
L’autre grandeur de This Way Up tient à sa manière de prendre son sujet de front. Filmer une personne qui va mal, un personnage qui doute intensément de lui-même, broder des situations à la fois anodines et subtiles autour de cette instabilité : tout cela habite la série en profondeur. Mais encore faut-il éviter le dolorisme, fût-il ponctué de blagues.
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Une série attentive aux autres
Bea a connu quelques traumatismes dans sa vie, comme celui de perdre son père à un très jeune âge. Or, cette autofiction plus ou moins claire dépasse de loin ce que Deleuze appelait “la petite affaire privée”. This Way Up a l’immense mérite de prendre constamment de l’ampleur, faisant exister tous les hommes et toutes les femmes autour de son héroïne presque sans en avoir l’air : la sœur d’Aine qui se démerde entre un projet de mariage et sa collègue qui lui en veut d’avoir rompu avec elle, son mec coincé avec le fantôme qui le hante, mais aussi son collègue à l‘institut de langues, sa mère scotchée devant les soaps, et son ex, Tom, dont la présence bouleverse.
Au fil des six épisodes pourtant très ramassés, un monde existe et se déploie, que les tenant.e.s de la fiction normée nommeront peut-être “chronique”. Ce sont des gestes captés sans faire de bruit, des conversations apparemment anodines mais qui ouvrent des abîmes chez les un.e.s et les autres. This Way Up est une série attentive à ses personnages comme à celles et ceux qui la regardent. C’est idiot, mais c’est exactement pour cela qu’elle nous touche au cœur.
This Way Up saison 2. En ce moment sur MyCanal.
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