Adaptation d’une saga romanesque à succès “Shadow and Bones”, la saga Grisha réveille le genre de la fantasy young adults en plongeant son héroïne attachante et complexe dans un ouragan d’ombre et de lumière.
Cet article comporte des révélations sur l’intrigue de Shadow and Bone : la saga Grisha.
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Trois axes semblent essentiels à la réussite d’une série fantastique young adults, c’est-à-dire destinée principalement à un public adolescent. Le premier consiste à projeter les spectateurs.trices dans un univers imaginaire où le surnaturel est généralement accepté, et à en manier les rouages de façon cohérente sans entamer sa part de mystère et son pouvoir de fascination : c’est la carte. Le second a trait au respect des codes du genre, dont la dramaturgie, largement inspirée du “voyage du héros”, tel qu’établi par Joseph Campbell dans Le Héros aux mille et un visages, noue le passage symbolique des personnages à l’âge adulte au sein d’une dialectique entre le Bien et le Mal : c’est la boussole. Le troisième tient à la capacité de l’œuvre à dialoguer avec les questionnements saillants du contemporain des spectateurs : c’est le pont.
Illuminer un genre moribond
Adaptée de la saga littéraire éponyme de l’autrice américaine Leigh Bardugo (initialement titrée Les Orphelins du Royaume en France), Shadow and Bone : la saga Grisha articule ces trois axes avec fluidité et vient illuminer un genre quelque peu moribond. Après les échecs de The Witcher, confuse et sans éclat, Cursed, relecture au féminin décevante de la légende arthurienne, et la transposition pâlotte de la saga Winx, Netflix semble avoir enfin trouvé son Game of Thrones ou son Narnia. Autrement dit, une saga au potentiel narratif arborescent propre à nous embarquer dans un voyage au long court.
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La comparaison s’arrête à cette considération industrielle, tant la série déploie un univers propre aux règles singulières. Scindé en deux par le Fold, un brouillard maléfique peuplé de créatures de cauchemar, le royaume de Ravka (inspiré de la Russie tsariste) est en guerre contre Fjerda (peuple nordique dérivé de la culture scandinave) et Shu Han (basé sur la Chine). Cerné de toute part et menacé d’implosion par les velléités d’indépendance de sa partie ouest, Ravka tient principalement grâce aux grishas, de puissants magiciens capables de manipuler les éléments.
Lorsqu’Alina Starkov, jeune orpheline enrôlée comme cartographe dans l’armée régulière, traverse pour la première fois le Fold au cours d’une expédition militaire. Elle se découvre des pouvoirs à même de changer la marche du monde, et devient l’objet de toutes les convoitises. En premier lieu, celle du général Kirigan, un magicien hors pair.
Un univers solide électrisé par des morceaux de bravoure
Malgré la profusion d’informations à digérer et de personnages à appréhender, nos premiers pas dans l’univers, dont le guidage rappelle les didacticiels des jeux vidéo (camp de base, mise en place des factions et première expédition) s’effectuent avec aisance et distillent un émerveillement immédiat qui tient beaucoup à la direction artistique de la série. Servie par une photographie somptueuse et soulignée par une BO ouvragée, elle frappe par un sens du détail, particulièrement dans le choix des couleurs ou la confection des costumes, qui confère à l’ensemble une matérialité vibrante, loin de l’homogénéisation numérique et désincarnée de la plupart des productions contemporaines du même type.
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Si le récit n’échappe pas aux archétypes du genre (héroïne marginale, prophétie mystique, romance impossible…) qui pourront rebuter celles et ceux qui y sont insensibles, et qu’elle s’enlise parfois dans des entrechats émotionnels à l’eau de rose, elle parvient à les dépasser par la vivacité de ses morceaux de bravoure, tant dans la chorégraphie brutale de ses scènes de combat que dans les épiphanies visuelles que constituent le maniement des pouvoirs. Tout en dotant ses personnages de conflits et de motivations très claires, la série parvient à en secouer les trajectoires en les branchant sur des références moins prévisibles, jouant un cambriolage façon Ocean Eleven ou un assaut de monstres tout droit sortis d’un film d’horreur.
Entre l’ombre et la lumière
Raccord avec le mouvement contemporain consistant à rendre les récits plus inclusifs, Shadow and Bone est marquée par un progressisme doux, ancré dans la maille de son univers – les femmes et les hommes y évoluent sur un pied d’égalité parfait, et l’homosexualité s’y vit librement sans que cela ne soit souligné ou forcé. A contrario, en mettant en scène une héroïne rejetée en raison de ses origines Shu, et incarnée par une actrice d’origine asiatique, elle fait de la question du racisme un élément structurant de l’identité du personnage et de sa trajectoire narrative.
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La carte est solide, la boussole fiable et les ponts stimulants, mais au-delà de son indéniable maîtrise, qu’est-ce qui nous stimule réellement dans Shadow and Bone ? Sa part ludique, déployée dans le sillage des corbeaux, un gang de cambrioleurs stylés en diable dont les missions périlleuses émaillent les épisodes ? Le souffle lyrique, certes un peu désuet mais touchant, qui unit Alina à son ami Mal ? Ou peut-être cette façon de faire dialoguer l’ombre et la lumière, les pouvoirs magiques et les failles personnelles, de relier les grands mouvements fantastiques à des nœuds intimes ?
On se rappelle alors qu’Eric Heisserer, le showrunner de la série, est principalement connu pour avoir signé le scénario de Premier contact de Denis Villeneuve, fable dans laquelle une femme détient en elle, inconsciemment, le pouvoir de conjurer les monstres – ou de les apprivoiser. Elle a trouvé en Alina Starkov une successeuse à sa mesure, qu’on espère suivre longtemps.
Shadow and Bone : La Saga Grisha, d’Eric Heisserer, avec Jessie Mei Li, Archie Renaux, Ben Barnes… Sur Netflix.
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