Plus délirante et géniale que jamais, la série événement de Damon Lindelof, projetée en avant-première mondiale lors de l’ouverture de SérieMania, revient avec un vaste programme puisqu’on y croisera à la fois le Messie, des aborigènes, une arche de Noé et une catastrophe nucléaire, le tout sur fond d’apocalypse imminente et du déchainement des folies qui la précède.
Il y avait presque un air de grande première hollywoodienne qui flottait au numéro 1 du Boulevard Poissonnière ce jeudi 13 avril pour l’ouverture de la huitième édition de Séries Mania. Le Grand Rex affichait pour l’occasion complet et il fallait jouer des coudes pour avoir accès à la mythique salle parisienne. Entre un DJ-set énergique et un photocall en ébullition avec la venue d’une partie de l’équipe de la série ; son créateur, Damon Lindelof, son compositeur, Max Richter et ses acteurs Christopher Eccleston et surtout Justin Theroux (venu avec son épouse Jennifer Aniston), les premières minutes du festival offraient cette année un visage on ne peut plus glamour.
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Une cérémonie d’ouverture au goût amer
Après une élégante présentation bilingue de Laurence Herszberg, directrice de SérieMania et du Forum des Images, le public a eu droit à un court spectacle de danse en forme d’hommage à la série, à mi-chemin entre un Broadway show et un intermède des oscars. L’organisation avait clairement mis cette année la barre plus haut que les années précédentes, cette édition étant à la base pensée comme celle du couronnement de SérieMania en tant que Festival International des séries. Mais ce n’était pas The Crown mais bien The Leftovers la série-star de la soirée, un titre qui sonne comme un symbole de la cruelle issue de l’attribution du festival international qui est revenue à Lille, tandis que le projet cannois semble également avoir son avenir assuré. Tout le contraire de SérieMania qui reste donc sur le carreau et risque de devoir à l’avenir se contenter de restes, les leftovers que le CNC voudra bien lui accorder l’année prochaine, à moins que la ville de Paris ne soutienne plus largement ce festival très populaire qui se voit aujourd’hui menacé. Au-délà de la fête, ce faste d’ouverture avait donc un goût amer. Toujours est-il que près de 3000 fans de la série, professionnels, journalistes, stars françaises et internationales étaient rassemblés pour découvrir les deux premiers épisodes d’une des séries les plus passionnantes et originales de ces dernières années, The Leftovers, dont la diffusion à la télévision américaine débutait hier (dès ce soir sur OCS pour la France) et se poursuivra jusqu’au 4 juin.
Une troisième saison plus que jamais apocalyptique
Chaque nouvelle saison de The Leftovers opère un déplacement géographique qui s’accompagne d’un redéploiement du récit vers de nouveaux horizons d’écriture ainsi que des variations de tons. A une première saison très dark, solennelle et placée sous le signe du deuil impossible des habitants de Mapleton a suivi une deuxième saison à Miracle plus lumineuse mais également plus retorse, complexe et habitée cette fois-ci par un irréalisable désir de fuir un monde qui s’effondre.
La troisième est le théâtre de cet effondrement du monde. Nous y sommes. A quelques semaines du septième anniversaire de the sudden departure, le prêtre Matt Jamison n’est pas le seul à penser que l’apocalypse frappera les 98% de la population restants. Alors que Miracle se remplit de croyants pensants échapper à la catastrophe en résidant dans la ville bénie, Matt annonce à Kevin qu’il pense que lui, Kevin Garvey, est le nouveau Messie, celui qui les sauvera tous. Mais le chef de la police locale choisit cette période critique pour quitter le sol américain et accompagner Nora en Australie, où une étrange organisation lui a proposé de participer à une expérience qui lui permettrait de revoir ses enfants disparus.
De la famille à la religion en passant par le changement de territoire et la nouveauté de cette troisième saison ; l’humour, comment les axes développés par The Leftovers sont-ils mis en place dès les premiers épisodes?
Un nouveau terrain de jeu : l’Australie
Après deux premiers épisodes il faut le dire un peu décevants, la série retrouve toute sa superbe dans un troisième épisode qui explore enfin son nouveau terrain de jeu : l’Australie. Il en valait de même dans les deux précédentes saisons, The Leftovers est une série qui a besoin de plusieurs épisodes pour poser son cadre et le rendre fascinant. Avant que le Déluge ne frappe peut-être le 14 octobre (date anniversaire de la disparition soudaine), la série nous donne donc à voir un paysage aride où l’homme semble comme écrasé par l’horizontalité pensante et immense de ce qui l’entoure. Un territoire indomptable et indompté, une sorte de Far West contemporain que seuls les Aborigènes sont parvenus à épouser et où la saison 3 va prendre toute son ampleur métaphysique et dramatique.
La recomposition d’une famille
Outre l’incapacité à faire son deuil, The Leftovers a pour thème une sorte de recomposition familiale permanente. Si la première saison était centrée sur une famille nucléaire profondément dysfonctionnelle et la seconde sur deux familles dysfonctionnelles vivant côte-à-côte, cette troisième saison marque une sorte de fusion des deux familles à plus d’un titre. De nouvelles alliances se sont créées et des personnages qu’on croyait perdus refont surface. Ces multiples liens unissant cette famille agrandie permet au récit de prendre une forme chorale multipliant les sauts dans l’espace et le temps. Mais, même agrandie, cette famille semble toujours impuissante face aux traumatismes de chacun. Confrontés à leurs lésions respectives, les personnages ne parviennent pas à se consoler, à peine à vivre ensemble. There is (still) no family.
La croyance comme raison de vivre
The Leftovers pose la question de la foi dans un monde dont l’incompréhension est devenue insupportable. Il propose une expérience du sensible, une immersion dans un réel que chacun tente de déchiffrer à l’aide de signes et de symboles. Rendre le monde lisible pour être à nouveau en mesure de l’habiter, tel est la question fondamentale qui traverse toute la série et cette troisième saison en particulier. Chaque personnage semble y défendre son interprétation du monde, que cela soit Matt avec son Troisième Testament, Kevin Garvey Senior avec ses danses aborigènes ou Nora avec son impossible deuil. Aucune série n’aura autant travaillé la question de notre besoin d’investir le monde de nos croyances, de cette incapacité de l’être humain à s’en tenir au réel, de cette insurrection de l’imaginaire qui fait de la vie de chacun une invention perpétuelle.
Une série plus délirante que jamais
Si vous aviez déjà du mal à résumer les deux premières saisons de The Leftovers à votre meilleur ami que vous vouliez convaincre de commencer la troisième avec vous, il vous sera encore plus difficile de raconter le début de cette ultime saison tant elle est scénaristiquement délirante et surprenante. The Leftovers est la seule série où tout semble possible, à tout moment. Elle le prouve une nouvelle fois avec non-seulement des ouvertures et des fins d’épisodes souvent extraites de la narration principale mais surtout avec des situations inattendues et extrêmement jouissives. Plus proche du registre de la comédie que les deux précédentes saisons, la série semble avoir remplacé le majestueux registre dramatique et grave de ses débuts par celui de la farce du spectacle d’un monde qui glisse doucement vers la folie et où règne une forme de décadence pré-apocalyptique.
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