Dix vedettes sont dans un bocal. Qui rit ? Qui sort ? Et que regarde-t-on vraiment ?
La troisième saison de LOL : Qui rit, sort ! a bouclé sa diffusion il y a quelques jours sur Amazon Prime, toujours animée par Philippe Lacheau. Le concept ne bouge pas : dix stars coincées pendant six heures dans un studio avec pour objectif d’y être la dernière à rire (et empocher un chèque pour une œuvre de charité) – c’est le casting qui change.
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En élargissant la typologie des invité·es au-delà de son habituel panaché multigénérationnel d’humoristes (ici François Damiens, Gad Elmaleh, Paul Mirabel, Laura Felpin…) pour y adjoindre de gros noms venus du cinéma (quatre César : Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos, Pierre Niney, Leïla Bekhti), le jeu a changé de statut, sans doute d’audience, et clairement de dimension. C’est en réalité une émission de plus en plus fascinante à regarder, non pas parce qu’elle est drôle (elle l’est un peu) mais parce qu’elle donne à voir, en infligeant à ses participant·es des injonctions plus complexes qu’il n’y paraît, toute une gamme de rapports de force, de stratégies de différenciation ou d’appartenance, habituellement tues ou en tout cas moins perceptibles.
Au bord du rire
C’est qu’il y a deux couches dans LOL : le jeu lui-même et le spectacle du jeu, qui agit comme une seconde strate de règles tacites. Il ne faut certes pas rire, mais il ne faut pas simplement “ne pas rire” : il faut faire rire ses concurrent·es, déjà, et surtout il faut constamment presque rire ! C’est-à-dire qu’il faut se mettre en scène en train de résister à un fou rire prétendument irrépressible. Cette posture d’hilarité difficilement contenue, c’est la condition sine qua non pour que l’émission ne prenne pas des airs de long tunnel fait de bides étranges, asphyxiés dans un silence de mort, ou de théâtre d’avant-garde (et de fait, elle ressemble tout de même un peu à ça). Ne pas faire semblant d’être tout le temps au bord de rire, c’est s’exposer à l’impopularité (ce qui est en train d’arriver à l’imperturbable Paul Mirabel) et surtout, faillir au contrat : Amazon, qui attire les têtes connues par des salaires de plus en plus mirobolants, est en position d’en exiger des gages d’enthousiasme. Le jeu repose donc sur une double injonction tordue : ne surtout pas rire tout en ayant l‘air de follement s‘amuser, comme un miroir tendu à l‘hilarité visée des spectateurs et spectatrices.
Or il est impossible, devant ces six épisodes de séquestration VIP, de ne pas se mettre à l’affût de ce qui y relève non pas du jeu, mais des hiérarchies insidieuses du vedettariat mises à l’épreuve de cette injonction. Qui s’autorise l’insubordination au spectacle ? Seul·es les vieux et vieilles briscard·es se permettent de réagir sincèrement aux bides objectifs – les jeunes ont trop besoin de nous assurer qu’ils ou elles passent un excellent moment.
Sa mise à nu atteint un remarquable point de littéralité dans l’épisode 2, lorsque la carte joker de Virginie Efira consiste à rassembler les participant·es pour que chacun·e répète, coiffé·e d’une charlotte ridicule : “Je suis une petite merde prétentieuse.” Dans cet exercice collectif d’auto-dénigrement, il n’y a même plus de blague. Les stars ne sont clairement pas là seulement pour rire.
Édito initialement paru dans la newsletter cinéma du 22 mars. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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