Avec sa nouvelle série, Aisling Bea (Living With Yourself) dépeint la vie d’une enseignante trentenaire en pleine dépression nerveuse. Résultat : des épisodes aux airs de Fleabag qui mèlent humilité et honnêté pour un final bouleversant.
« I will never die » (« Je ne mourrai jamais »). Voilà le genre de phrase qu’on entend dans cette série, comme si toutes les audaces rêvées prenaient vie dans une bulle de fiction. Mais des audaces fragiles, intenables, issues d’une douleur qu’il faut expulser presque sans en avoir l’air. C’est une jeune femme de trente-cinq ans qui prononce ces mots, au sixième épisode. Aine ne va pas très bien et tente malgré tout de rassurer sa grande sœur (Sharon Horgan de l’excellente Catastrophe, également productrice) qui s’inquiète pour elle après une dépression et peut-être même une tentative de suicide. This Way Up raconte l’histoire de leur relation, cette sororité vitale, ainsi que le chemin vers une forme de retour à la normalité, quand à peu près tout allait mal.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Aisling Bea, la créatrice irlandaise, s’est fait connaître à travers son stand up agité depuis quelques années (certains sketches sont disponibles dans The Comedy Lineup sur Netflix) et comme actrice, notamment dans la série Living With Yourself où elle côtoie Paul Rudd en mari cloné. Une bouffonne, dans le meilleur sens du mot. This Way Up est le premier projet d’envergure qu’elle contrôle de bout en bout, avec une liberté totale offerte par la chaine britannique Channel 4, véritable creuset de la modernité sérielle, pas loin d’être aussi majeure que HBO – on lui doit notamment Queer As Folk, Father Ted, Skins, Black Mirror.
Proche de Phoebe Waller-Bridge
Dans ce monde parallèle à l’esprit indépendant, si loin de Game of Thrones, pas de folles embardées scénaristiques ni de cliffhangers haletants. Pas de règles non plus, ou très peu. La série appartient une espèce singulière, celle des chroniques à la première personne menées par des femmes. L’Angleterre a laissé éclore ces dernières années plusieurs exemples de ce type, comme Fleabag évidemment, devenue la mère de toutes les comédies tristes contemporaines. Proche de Phoebe Waller-Bridge, Aisling Bea en revendique l’influence bienveillante, sans jamais vouloir la copier. Son féminisme avance scène après scène, incarné par elle-même, à la fois scénariste et rôle principal. Sa drôlerie dévoile systématiquement des bords coupants.
Nous voilà au quotidien dans les pas de cette femme à qui il n’arrive quasiment rien. En tous les cas, rien de vraiment télégénique. Plutôt une sorte d’ennui sourd, entre les plans drague minables, les visites à sa sœur et les cours d’anglais qu’elle donne à des immigrés et à un collégien venu de France, dont le père vit en célibataire discret. La dépression et la solitude restent peu vues à l’écran, comme s’il fallait regarder ailleurs. This Way Up pose les yeux à cet endroit précis où la gêne s’impose. Et elle commence à creuser, pour en révéler bien autre chose.
Il n’est pas question ici d’aller mieux comme par enchantement, de promouvoir notre improbable capacité au changement, mais de comprendre pourquoi ça va mal, de laisser peu à peu sortir les racines du mal. On pense parfois au choc de l’année, I May Destroy You de Michaela Coel, où le personnage principal revenait durant toute la saison au fondement de son traumatisme, un viol subi alors qu’elle a été droguée. Ici, rien de tel dans la vie de Aine, mais une quête identique : retrouver en soi la force de se raconter et d’exister à travers ce récit personnel.
Entre légèreté et frontalité
Pour accueillir l’émotion que procure This Way Up, il faut un certain temps. Le temps de s’habituer à un personnage central retors, pas toujours éminemment sympathique, mais aussi à une façon d’aborder les scènes qui semble parfois relever de l’anecdote, voire du non-événement. Cette série chuchote ses thèmes et ses angoisses plutôt que de parler fort. Elle se nimbe d’un voile de légèreté pour déployer les blessures de son héroïne qui passe d’un état à un autre en un éclair, comme dans cette scène emblématique du troisième épisode où Aine consulte une voyante. La consultation débute comme un moment de comédie où il est question de se trouver un mec. Et puis, sur le pas de la porte au moment de sortir, le drame affleure : Aine évoque en une phrase son père disparu. Il n’en sera plus question, tout cela s’est déroulé en un éclair qu’il fallait saisir.
Dans le déferlement bienvenu de voix féminines qu’offrent les séries anglo-saxonnes, celle de Aisling Bea sonne de manière simple et singulière. This Way Up mérite qu’on s’y attarde pour son mélange d’humilité et de frontalité, franchement bouleversant dans les deux derniers épisodes. On y entend cette phrase de Frida Kahlo capable de nous hanter longtemps : « J’ai voulu noyer mes peines, mais ces saletés ont appris à nager. »
>> A lire aussi : “I May Destroy You” : Michaela Coel crée une série incandescente sur le viol qu’elle a elle-même subi
>> A lire aussi : Avec “Fleabag”, Phoebe Waller-Bridge donne un coup de jeune à la série british
This Way Up saison 1. Sur myCanal.
{"type":"Banniere-Basse"}