Basée sur la vie de Mohammed Amer, comique de stand-up vu dans la précieuse “Ramy”, “Mo” explore avec humour et pertinence la face sombre du rêve américain.
Mohammed Amer écume les scènes américaines et mondiales depuis une petite vingtaine d’années en tant que standuppeur – l’un de ses spectacles, Mo Amer : The Vagabond, figure sur Netflix –, mais les séries lui donnent une nouvelle aura. En 2018, on le croisait dans Ramy, l’excellente comédie de Ramy Youssef sur l’expérience d’un trentenaire hipster musulman d’origine égyptienne plongé dans la vie américaine, qui essayait de maintenir un lien avec sa culture familiale et religieuse. Amer jouait son cousin propriétaire d’un restaurant et montrait déjà son art de la punchline.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Depuis quelques jours, le jeune quadra occupe carrément le devant de la scène dans Mo, une belle série drôle et tendue comme on n’en fait plus trop, sans concept majeur si ce n’est de suivre le quotidien d’un mec et de ses proches. Mais quel quotidien !
Sans-papiers
Mohammed Amer a créé Mo en compagnie de Ramy Youssef, qui a co-écrit le premier épisode (la première saison en compte huit). Les liens avec Ramy sont donc évidents. Il serait pourtant dommage de voir dans cette délicate tentative un simple spin-off de sa grande sœur.
C’est bien sa propre vie que raconte Amer de manière détournée et libre, celle d’un réfugié palestinien débarqué à Houston avec sa famille depuis le Koweit alors qu’il était enfant, orphelin de père à l’âge de 14 ans et surtout, immigré illégal jusqu’à un âge avancé, le système américain démontrant sa lourdeur et son inhumanité en refusant longtemps à sa famille des papiers tant attendus. C’est bien cela que raconte Mo avant tout : l’absurdité presque comique (si elle n’était pas tragique) d’une vie condamnée à la débrouille et souvent à l’illégalité, parce qu’un État refuse de rendre légale une situation pourtant déjà installée.
American dream
La bonhomie de Mohammed, avec sa tête souriante et son côté bonne pâte stressée – quelques soucis gastriques le titillent d’ailleurs régulièrement –, toujours prête à atténuer la dureté de la vie avec la tchatche, contraste avec la dureté de ce qu’il traverse auprès de son frère atteint du syndrome d’Asperger, du souvenir de son père victime de torture. Sa mère reste accrochée à son huile d’olive qui lui rappelle Haïfa, sur sa terre natale qu’elle ne reverra sans doute jamais. On lui connaît aussi une petite amie d’origine mexicaine, propriétaire d’un garage et rêvant d’en ouvrir une deuxième, sans pouvoir obtenir un prêt auprès d’une banque. Les exclu·es du rêve américain existent toujours, et ils et elles sont de plus en plus nombreux. Le capitalisme est à la fois un idéal encore vivace et un piège. C’est ce que semble dire avec pertinence la série, montrant à quel point la galère est encore plus pernicieuse que prévue.
Mo peine à faire avancer sa vie et sa carrière comme il le souhaite car tout est plus difficile pour lui. La première scène le montre en train de se faire virer plus ou moins ouvertement à cause de son statut de sans-papiers. En partant, il balance en marmonnant que ce n’est pas la première fois que “ICE” lui fait perdre son boulot. “ICE”, c’est l’acronyme de “United States Immigration and Customs Enforcement”, le bureau du ministère de l’Intérieur destiné à la régulation souvent violente des questions liées à l’immigration et à la nationalité. Durant les années Trump, ce service s’est fait connaître au Texas – où se passe la série – et ailleurs pour avoir notamment séparé des familles. Mo ne fait pas mention de cette situation politique particulière, mais démontre de façon implacable que rien ou presque n’a changé depuis des décennies. L’Amérique est toujours ce pays qui accueille celleux dont elle a besoin et les maltraite simultanément, les presse et les épuise sans hésiter, les laisse du mauvais côté de la barrière.
Même s’il est souvent question du déplacement forcé de la famille de Mo causé par Israël, la série s’emploie à cibler le problème, dans l’Amérique contemporaine et non au Moyen-Orient. De façon très précise, elle décortique le chemin de croix du héros et de ses proches pour obtenir la nationalité, entre audiences reportées et avocate incompétente. Avec un humour percutant et une crudité bienvenue, Mo fait même œuvre de pédagogie, comme dans le dernier mouvement de la saison, dont on retient une incroyable scène de tribunal digne des plus grandes séries. Changeant sans cesse de tonalité, parfois un peu paresseuse, mais finalement plus fine et mieux écrite qu’il n’y paraît, Mo va au-delà de la sympathie spontanée que suscite son personnage principal, pour nous expliquer à sa manière ce qui déconne sérieusement dans l’équilibre des forces et des désirs aujourd’hui. Un sujet social et politique brûlant.
Mo saison 1 est disponible sur Netflix.
{"type":"Banniere-Basse"}