En ligne sur Netflix depuis ce 5 août, la série World’s Most Wanted dresse le portrait de cinq grand·es criminel·les toujours recherché·es par la police. En autant d’épisodes, elle en profite pour ausculter l’incapacité des Etats à les retrouver mais aussi pour réfléchir à la manière dont ils et elle vivent dans un monde parallèle… pourtant pas si éloigné du nôtre.
Le mal n’est pas seulement une chimère pour effrayer les enfants, mais une construction sociale palpable, qui mêle l’imaginaire des nations, les luttes politiques et économiques internationales, ainsi qu’une tendance généralisée à la corruption. Un mélange explosif qui favorise le secret et la violence. Voilà le constat frontal pas férocement optimiste effectué par World’s Most Wanted, nouvelle série documentaire Netflix (coproduite par Nova Productions, filiale de LNEI, propriétaire des Inrockuptibles, ndlr) dont les cinq épisodes mis en ligne mercredi 5 août scrutent autant de lignes de fuite, dressant le portrait fantôme de criminel·les d’envergure mondiale toujours recherché·es par la police, comme évaporé·es.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les most wanted s’appellent Semion Mogilevich, grand boss d’origine ukrainienne des mafias russes ; Samantha Lewthwaite, Anglaise convertie recherchée pour plusieurs attentats islamistes en Afrique ; Matteo Messina Denaro, considéré comme le dernier grand Parrain sicilien ; Ismaël Zambada, leader surpuissant du cartel de Sinaloa au Mexique ; mais aussi Félicien Kabuga, considéré comme le financier et l’un des instigateurs idéologiques du génocide au Rwanda dans les années 90. Ce dernier fait figure d’exception dans la liste, puisque son arrestation en banlieue parisienne – il s’était enfui depuis 1994 – a traversé l’actu post-confinement au mois de mai dernier. Le deuxième épisode, consacré à Kabuga, se complète donc d’un épilogue en forme de happy end, après une enquête méticuleuse sur son importance décisive pendant les terribles massacres, notamment à travers la Radio des Mille Collines, principal média ayant appelé au meurtre de masse des Tutsis dès l’été 1993.
>> A lire aussi : “Cursed” : une relecture au féminin décevante de la légende arthurienne
Une toile complexe
Les grands criminels préfèrent toujours une vie de traqué·es que de passer du temps derrière les barreaux pour répondre de leurs actes. Leur réalité quotidienne devient au bout d’un certain temps celle de spectres. A plusieurs reprises dans la série, des témoins directs racontent comment les un·es et les autres ont échappé à une arrestation après une fuite d’information de dernière minute. Dans la jungle contemporaine des moyens de communication qui permettent aux Etats de surveiller à peu près n’importe qui, certain·es parviennent donc à passer entre les mailles du filet, à coups de dollars et grâce à un minimum de chance. Les forces de l’ordre surarmées débarquent alors dans des pièces vides ou arrêtent des sbires.
Une toile complexe que les documentaires tentent de démêler, en constatant l’échec patent des Etats pour retrouver ces figures qui jouissent pour certaines (Mogilevich, Zambada, Messina Denaro) d’autant de pouvoir que des chefs d’Etat et des capitaines d’industrie. Il ne s’agit pas ici de mener une contre-enquête pour les retrouver, mais de comprendre les échecs internationaux, cette impossibilité à mettre la main sur des hommes et une femme qui, au fil des années, deviennent d’épais mystères. Parfois, les rares photos d’elle et eux disponibles semblent jaunir en direct sous nos yeux.
Témoignages parfois dingues
Ces insaisissables, World’s Most Wanted les replace dans leur contexte à la fois intime et (géo) politique, dressant in fine le portrait d’êtres pathologiques qui paraissent avoir perdu tout contact non seulement physique mais aussi moral avec la communauté humaine – même si rien n’est aussi binaire. Cela se fait à coups d’images d’archives et de témoignages parfois dingues, comme cet ex de la mafia sicilienne qui raconte comment son fils a été enlevé et tué par Matteo Messina Denaro et ses hommes. Ou ce duo mère-fils en plein conflit sur la loi du silence, face caméra. Le premier épisode, consacré au mexicain Ismaël Zambada et réalisé par Paul Moreira, s’avère le mieux construit et le plus riche. Au contraire des autres, il n’abuse pas des plans larges d’exposition survolant des paysages ou des villes, devenus une norme étrange dans les documentaires spectaculaires contemporains, comme s’il fallait à tout prix ressembler à des blockbusters. L’épure est parfois bonne conseillère.
Au bout du compte, les cinq épisodes permettent de s’interroger sur la manière dont les grand·es criminel·les forment une sorte de monde dans le monde. Un univers parallèle où les lois sont différentes, où le réel ressemble à une fiction tragique et pathétique. Pourtant, quelque chose nous rapproche constamment de ce qui est raconté, comme une musique familière. A chaque fois, ce qui frappe dans les histoires mises en avant, ce sont les complicités ou les déchirures familiales qui s’opèrent : le sacrifice quasi biblique d’un fils, le soutien d’une fille, l’autorité morbide d’un père. C’est l’attrait du « true crime », genre auquel la série appartient : ces vies folles sont aussi les nôtres.
World’s Most Wanted, une coproduction Nova Productions et Premières lignes Tv, disponible sur Netflix.
>> A lire aussi : 1995-2020 : le top Séries des Inrocks
{"type":"Banniere-Basse"}