Une année auprès des pom-pom girls de l’équipe de football américain de Dallas : assez fine dans son exposition des clichés, la nouvelle série documentaire du réalisateur de “Cheer” est souvent irrésistible.
Déjà responsable de la flamboyante série documentaire Cheer (2020-2022), qui mettait en avant les cheerleaders d’une fac perdue du Texas, engagé·es dans une compétition nationale, le réalisateur Greg Whiteley revient sur Netflix avec America’s Sweethearts : Dallas Cowboy’s Cheerleaders, pour scruter un univers à la fois très éloigné et très proche.
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Ici, il n’est plus question d’une équipe mixte qui s’entraîne en vue d’un objectif, mais d’une véritable institution américaine entièrement féminine, née dans les années 1960 puis réinventée durant les seventies, sous l’influence de Broadway : les Dallas Cowboys Cheerleaders, version augmentée des pom-pom girls, aussi célèbres aux Etats-Unis que l’équipe pourtant mythique qu’elles soutiennent à chaque match, entrant sur le terrain au son de Thunderstruck d’AC/DC et alignant leurs cuisses en l’air comme au cabaret.
Une idée ultra-performative de la féminité
En sept épisodes, nous suivons une saison entière, en commençant par la sélection ultra pointue de celles qu’on appelle les “DCC”. Trente-six jeunes femmes sont choisies parmi des centaines de candidates, avec une férocité évidente mais aussi une forme d’exigence surréelle, par le duo que forment Kelli McGonagill Finglass, la directrice, et la chorégraphe Judy Trammell. Deux femmes autour de la soixantaine regardent d’autres femmes dans leur vingtaine, les jugent selon des critères physiques, techniques et artistiques précis, en un mot, façonnent avec leur complicité une certaine idée ultra performative de la féminité.
C’est le premier intérêt de la série de Greg Whiteley que d’enregistrer avec une forme de douceur une plongée volontaire dans le stéréotype. Très peu de cheerleaders ne sont pas blanches, beaucoup sont blondes, toutes sont fines et vêtues d’un même uniforme qui met en avant leurs jambes élancées et leur décolleté. Elles incarnent une sorte de rêve hétérosexuel blanc que l’on croyait ancien et qui démontre encore toute sa puissance dans l’Amérique contemporaine. La visite du vestiaire vide des “DCC” par des touristes masculins, à qui un guide propose de reproduire pour rire une pose de leur cheerleader préférée, fait partie des moments les plus saisissants de la série.
Le conservatisme des corps et des idées
Tout à coup, un trouble se dessine, mais il ne dure pas longtemps. Car personne, devant ou derrière la caméra, ne remet en cause l’ordre des choses – même si l’objectivation des cheerleaders, et parfois les agressions dont elles sont victimes, ne sont pas mises de côté. Cela a pour résultat de faire de America’s Sweethearts : Dallas Cowboy’s Cheerleaders un véritable document sur le conservatisme des corps et des idées, en suivant jusque dans leur vie privée des jeunes femmes aux idéaux pour la plupart profondément ancrés dans la culture patriarcale, avec comme religion commune, en plus de celle de Jésus, celle du sourire. On n’oublie pas, devant la série, que la poursuite du bonheur est inscrite dans la constitution américaine. On n’oublie pas non plus que les “DCC” sont très mal payées, alors que la plupart sont d’excellentes danseuses et des étudiantes émérites, qu’elles bossent, transpirent, courent, sautent, produisent des images.
Ce que tente et réussit souvent Greg Whiteley, c’est de montrer à quel point le goût commun du spectacle unit ces femmes pour qui les regards extérieurs n’existent quasiment plus lorsqu’elles entrent sur le terrain. Le mot est si galvaudé qu’il pourrait perdre de sa force, mais une forme de sororité en action se déploie au fur et à mesure de la saison. Malgré un univers concurrentiel, Kelcey, Reece ou Victoria défient le cliché misogyne du crêpage de chignon pour inventer une autre circulation de la féminité et de la solidarité.
Comme beaucoup d’objets passionnants de l’époque, America’s Sweethearts : Dallas Cowboy’s Cheerleaders n’a rien de parfait, navigant entre les codes de la téléréalité de concours et l’imagerie kitsch de son sujet, pointant du doigt des abus tout en perpétuant un mythe largement problématique. Mais derrière la surface, une somme de destins s’agite et nous émeut. Il est possible, et même souhaitable, d’aimer les cheerleaders sans embrasser les visions les plus désolantes du féminin. La série de Greg Whiteley le confirme avec finesse.
America’s Sweethearts : Dallas Cowboy’s Cheerleaders est disponible sur Netflix
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