Celles et ceux qui n’ont jamais croisé “Friends”, ni de près ni de loin, garderont leurs distances. Mais les autres, tou·tes les autres, se retrouveront vissé·es à l’écran même après s’être juré·es de rester de marbre. Des larmes, de la gêne, de la joie. Joli programme.
Dix-sept ans après la diffusion événement de son ultime épisode, plus d’un quart de siècle après son apparition sur les télés pas encore tout à fait mondialisées, le retour de la sitcom la plus drôle du monde – avec Seinfeld et quelques autres – ne pouvait que produire son effet, même si la formule choisie effrayait.
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Rappelons que cette opération marketing géante du point de vue de l’industrie – HBO Max souhaite mettre en avant l’arrivée de Friends sur sa plateforme –, n’a rien d’un nouvel épisode. Nous sommes devant une émission hybride faite de séquences documentaires, d’images d’archives et d’un entretien mené par James Corden devant un public coronamasqué. Avec des guests parfois inutiles et un défilé de mode pas vraiment drôle. Le tout monté aussi vite qu’un slapstick des années 30.
Retour au Central Perk
La bonne idée est d’avoir situé l’action de ces 100 minutes en partie dans l’ancien plateau de la série, recréé pour l’occasion dans les studios Warner à Burbank. Celui-ci avait été démonté le soir du dernier épisode, pour faire de la place en vue d’un tournage le lendemain, apprend-on. Il fallait vite passer à autre chose. Hollywood, mon amour. Dans ces pièces vides où les canapés reviennent du passé, Ross (David Schwimmer) arrive le premier. Il arpente les lieux, saisi par l’émotion, bientôt rejoint par Joey (Matt LeBlanc), Phoebe (Lisa Kudrow), Rachel (Jennifer Aniston), Chandler (bouleversant Matthew Perry) et Monica (Courteney Cox) qui jouent parfaitement leur entrée en scène dans ce cimetière de fiction.
Très vite, les trois gars et trois filles papotent comme on retrouve des potes perdu·es de vue, et nous voilà témoins de cet étrange rituel, scrutant ces visages à la fois familiers et inconnus. La chirurgie esthétique semble un choix partagé par tou·tes, les corpulences ne sont pas les mêmes qu’au tournant du siècle dernier. Dans l’aspect très policé de l’ensemble, où les dérapages verbaux sont rares, où les sujets qui fâchent semblent soigneusement évités pour laisser place à l’autocélébration, la vérité de l’enregistrement des corps fait son œuvre. Pas besoin d’en rajouter, la mélancolie règne. Comme un socle à partir duquel on peut éventuellement rire.
De fait, on rit souvent, en écoutant les uns et les autres (et notamment Matt LeBlanc, très en forme) raconter des anecdotes de tournage et retrouver l’énergie d’une série tournée pendant dix ans à raison de vingt-trois épisodes chaque saison, dans une bulle créative et amicale unique. La fibre nostalgique est évidemment la ligne directrice, mais pas seulement en mode “bon vieux temps”. C’est l’un des aspects les plus intéressants de l’émission, qui recueille les témoignages de Marta Kauffmann, David Crane et Kevin Bright, les principales forces créatives derrière la caméra et dans la salle d’écriture. Le récit d’un changement de réplique sur le plateau tient en haleine, tout comme les réflexions sur la recherche constante des meilleurs gags et du rythme le plus ciselé. Les archives viennent appuyer cette plongée dans un processus créatif passionnant, dont on avait déjà un souvenir fort venant d’un documentaire de la fin des années 1990, The One That Goes Behind The Scenes, consacré à la préparation d’un épisode de la saison 6.
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The end
Le moment parfait de Friends : The Reunion arrive un peu sans prévenir. Depuis le début de l’émission, les acteurs et actrices se retrouvent régulièrement scénario en main pour rejouer autour d’une table des scènes iconiques. Dans le jargon, on appelle cela une lecture. Les comédien·nes y participent en général en jeans et basket, simplement pour vérifier qu’une dynamique de groupe fonctionne en amont d’un tournage. Ici, c’est forcément différent. Quand leur tour arrive, David Schwimmer et Jennifer Aniston arborent des visages graves.
Un extrait débute et le montage, bientôt, entrelace leurs visages et voix d’avant avec celles et ceux d’aujourd’hui. Ils s’engueulent, se séparent avant de s’embrasser fougueusement, et tout cela a lieu à la fois en direct et en différé, sans autre césure entre le passé et le présent que celle du vieillissement. Bientôt, on apprendra que les deux se sont réellement aimés au tout début de la série. C’est comme s’ils luttaient en beauté contre eux-mêmes en sachant que la partie est perdue d’avance, comme s’ils cherchaient à s’oublier et à se retrouver simultanément. C’est évidemment bouleversant et cela règle assez magistralement la question de refaire un nouvel épisode de Friends ou une suite filmique. Cela n’arrivera pas. C’est ontologiquement impossible.
Il y a évidemment des manques dans ce show hagiographique destiné aux fans, notamment le silence total des un·es et des autres sur les débats récents concernant le manque criant de diversité de la série, ainsi que ses scènes grossophobes, sexistes, transphobes et homophobes. David Crane mentionne à un moment son mari et signale donc que la salle d’écriture de Friends accueillait une composante LGBTQI. Mais rien de plus, comme s’il ne fallait surtout pas ébranler l’édifice. Cet ”oubli” – qui n’en est pas un -a comme unique vertu de souligner une évidence : on ne refera pas Friends, dans tous les sens du terme, et c’est sans doute une excellente nouvelle. On peut avoir aimé la série dans un moment de nos vies et souhaiter qu’elle appartienne désormais à l’histoire. Comme le dit Rachel dans la si belle scène du baiser : ”I got closure” – ”J’ai fait mon deuil”.
Friends : The Reunion est disponible sur Salto. Diffusion prochainement sur TF1.
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