Avec « Platane », Eric Judor tire la fiction française vers l’humour déflationniste à l’américaine, sur les traces de « Seinfeld » ou « Curb Your Enthusiasm ». Une série gonflée et exaltante.
Revenant un soir d’un cocktail promo trop arrosé, Eric Judor se prend un platane en pleine poire. Direction H le vrai, pour un an de coma. Pendant cette longue indisponibilité, son compère Ramzy triomphe dans H la série. Le duo est donc bel et bien séparé.
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Sonné, dégoûté, handicapé aussi, Eric se reprend peu à peu, revient dans le métier. Mais à Canal, on ne le reconnaît même plus, d’autant qu’il débarque dans le hall en chaise roulante, si bien que sa tête peine à dépasser la hauteur du comptoir d’accueil. Autre problème, à l’hosto, Eric a volé le fauteuil roulant du fils de Luc Besson, autant dire qu’il est grillé aussi auprès du pape du cinéma commercial français. Du coup, Eric a une révélation : il sera désormais cinéaste-auteur. Et se lance avec enthousiasme dans un nouveau projet : une version black de la vie d’Edith Piaf intitulée La Môme 2.0 next generation.
http://youtu.be/kWc2i-auits
A la lecture de ce long pitch, on aura une petite idée de la nouvelle série d’Eric Judor, coécrite avec François Reczulski et Hafid F. Benamar, où le comédien occupe quasiment tous les postes : scénariste, réalisateur, premier rôle et… personnage principal. Une métasérie, dans la lignée des pionniers américains du genre que furent Garry Shandling et Seinfeld, où Eric Judor joue Eric Judor et chronique sa vie de comédien à succès, de patron d’une unité de production audiovisuelle, de fournisseur de contenu pour une célèbre chaîne cryptée.
Une vie de fiction parsemée de gags
Tout le métier est passé en revue : les conflits d’ego, la concurrence, la difficulté à faire passer un projet auprès d’une chaîne, les producteurs filous, les problèmes personnels… Mais Platane n’est évidemment pas un documentaire, même si le personnage campé par Eric Judor s’appelle Eric Judor, et si tous les guests jouent leur propre rôle, de Mathieu Amalric à Clotilde Courau, de Pierre Richard (sans doute une des grandes influences d’Eric) à Monica Bellucci, de Guillaume Canet à Vincent Cassel…
Si on plonge en apnée dans la vie intime et professionnelle d’Eric Judor, c’est une vie de fiction, totalement réécrite, parsemée de gags en tous genres, passée au filtre de la loufoquerie, du burlesque, du non-sens à l’anglaise, de la vanne de cité à la note humoristique déflationniste.
Dans le meilleur du mauvais esprit à la Desproges, tout le monde passe à la moulinette de l’humour judorien : les producteurs, les responsables de programmes, les actrices qui s’adorent, les handicapés, les Noirs (toutes les cultures black passent sur le gril), les journalistes, les rappeurs… Pourtant, le regard de Judor n’est jamais méchant, mais plutôt tendre, libérateur, retournant tous les tics ou préjugés socioculturels sur le mode du qui aime bien vanne bien. D’ailleurs, on en profite pour signaler la totale mixité ethnique et sociale de la série, reflet de la France qui va de soi mais aussi d’un milieu ciné-télé en avance sur bien d’autres.
Eric Judor excellent
Si tout le monde se fait bâcher, Eric a la politesse de se réserver les flèches humoristiques les plus acérées et nombreuses, ne se ménageant pas en producteur-auteur-comédien naïf, voire vaguement abruti (le platane !), mais surtout enfantin. Ce n’est sans doute pas facile de jouer un mélange de soi-même et de double clownesque, mais Eric excelle dans cet exercice, capable de déclencher le rire d’un simple changement de regard, dégageant à la fois cette part d’enfance intacte et une intelligence de soi-même et de son image assez impressionnante.
Un mot de la réalisation, plutôt vive, façon caméra de reportage embedded collant bien au sujet et à l’esprit de la série, qui évite aussi bien le statisme des sitcoms que l’esthétique m’as-tu-vu de certaines séries qui veulent absolument “faire cinéma”. On s’était toujours demandé ce qu’auraient fait Laurel sans Hardy, Roux sans Combaluzier. On a vu que Jagger sans Richards et vice versa, ça ne fonctionnait pas, contrairement à Lennon et McCartney séparés. On sait maintenant qu’Eric sans Ramzy, ça marche remarquablement même si on continue d’adorer le duo. Platane c’est du platine, Judor c’est de l’or, et après Cantona, voilà le deuxième Eric superstar. Just call him Eric, monsieur Eric.
Serge Kaganski
Platane, sur Canal+, tous les lundis à partir du 5 septembre, à 20h50
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