Les auteures de « Pen15 » jouent leur propre rôle ramenées à l’adolescence. Bourrée d’idées étonnantes, la série réussit à faire revivre toutes les sensations, corporelles et psychiques, de cet âge ingrat.
Maya et Anna ont 13 ans. La première arbore une coupe au bol incertaine, et l’autre, un appareil dentaire trop voyant à son goût. Elles s’aiment beaucoup. Elles se sont trouvées. Dans le deuxième épisode de Pen15, le binôme, un peu mal à l’aise, débarque un soir dans un garage où un groupe de filles de leur collège profitent de l’absence des parents pour boire en douce une canette de bière. Angoisse, tentation, timidité. Maya et Anna se scrutent. D’un coup, des sous-titres apparaissent alors que leurs lèvres sont immobiles. Nous sommes entré.e.s dans leurs pensées, des pensées banales (“On part d’ici ?”) mais qui incarnent tout autre chose : l’idée d’une communication secrète qui sera le sujet et le point de vue de la série.
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A l’instar de l’amitié entre Maya et Anna, Pen15 trouve sa force dans les regards qu’elle suit comme dans les gestes qu’elle capte, dans le bruit et le mutisme. Au cours de la même scène, une troisième jeune fille entre dans la danse et “parle” à Anna et Maya, avec des sous-titres. Puis l’épisode reprend son cours normal.
La première création de Maya Erskine, Anna Konkle et Sam Zvibleman foisonne de ce genre d’idées simples mais étonnantes, qui la font décoller de l’ordinaire de la série adolescente – ou, ici, préadolescente – pour atteindre des cimes fragiles mais bouleversantes. Les dix chapitres de cette première saison sortie sur la plate-forme Hulu sont peut-être ce que nous avons vu de plus cohérent et de plus beau dans le genre, depuis les volutes mélancoliques de Freaks and Geeks, il y a pile vingt ans. Ce n’est pas rien.
Le cœur de l’expérience Pen15, c’est de ressentir ce qu’une jeune fille ressent quand elle est débordée par son corps et lutte pas à pas pour se le réapproprier
Pen15 se déroule d’ailleurs en l’an 2000, et quelque chose résonne avec la série mythique de Paul Feig et Judd Apatow, dans le mélange de douceur et de frontalité qui s’y déploie très naturellement. En revanche, nous sommes bien ancrés en 2019 par les thèmes abordés, le caractère moins choral et plus féminin du récit. Le cœur de l’expérience Pen15, c’est de ressentir ce qu’une jeune fille ressent quand elle est débordée par son corps et lutte pas à pas pour se le réapproprier.
Toutes premières fois
La sensation de vivre des expériences corporelles et psychiques pour la première fois – un classique du roman d’apprentissage – est saisie dans sa dimension dérangeante, sensuelle et impossible à contenir. Rarement une série n’aura proposé des visions aussi nettes et fortes de ce que cela fait d’avoir ses premières règles, de subir le racisme quand on est une métisse blanche-asiatique comme Maya (meilleure punchline de sa copine : “I’m not eating until racism is over” – “Je ne mange plus jusqu’à ce que le racisme disparaisse”), d’embrasser avec la langue un.e partenaire en négociant avec sa libido naissante, de comprendre qu’on est excité.e et qu’il faut jouir tout de suite.
Dans l’épisode consacré à la masturbation, le plan stupéfiant d’un sexe féminin littéralement palpitant sous une culotte reste en mémoire. De manière souvent éblouissante, Pen15 parvient à rendre des sensations intimes partageables tout en ouvrant sans cesse l’horizon : les parents sont parmi les plus fins et intéressants vus dans une fiction teen depuis très longtemps. Pour couronner le tout, la série est d’une drôlerie fondamentale, bourrée d’humour verbal et corporel. Qui a oublié que l’éveil au désir est parfois un long tunnel burlesque ?
Une sourde nostalgie
Pour incarner les deux gamines en classe de cinquième et en proie aux émois envahissants de leur âge, Maya Erskine et Anna Konkle ont fait le choix radical et génial de jouer leur propre rôle. Dans la vie, les deux femmes affichent 31 ans. Ce retour dans leur corps d’avant – les personnages sont inspirés de leur vie – provoque un effet magnifique. Alors qu’elles miment la gestuelle préado et qu’autour d’elles les comédien.ne.s ont l’âge de leur rôle, Maya et Anna incarnent aussi une forme de distance, comme si elles se regardaient vivre tel qu’elles ne vivront plus jamais. A l’image de toute grande fiction ado, Pen15 parvient à mêler un sentiment d’urgence à une sourde nostalgie. Ce serait dommage de ne pas y plonger.
Pen15 d’Anna Konkle, Maya Erskine, Sam Zvibleman, avec elles-mêmes, John Lykes. Saison 1 sur Hulu
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