En plongeant un conseiller financier véreux dans une spirale de violence, « Ozark » évoque inévitablement les péripéties de Walter White. Mais sa sobriété appliquée et sa radiographie acérée de la famille et du rêve américains valent le détour. (Spoilers)
Cet article contient des révélations sur la série Ozark.
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Avez-vous déjà entendu parler du lac des Ozark ? Nous non plus, en tout cas pas avant d’avoir plongé dans la série homonyme dont le titre sonne comme une formule magique d’artiste de music hall. Perdue dans une région accidentée du Missouri, l’étendue d’eau bénéficie pourtant d’un littoral plus vaste que celui de la Californie. Chaque été, une foule de nouveaux riches vient s’y ébattre dans ses bateaux tunés, et dépenser sans compter son argent plus ou moins légalement gagné dans les bars, casinos ou strip clubs de la côte. Une sorte de Spring Break estival et montagnard à l’abri des regards.
Martin Byrde (Jason Bateman, également co-producteur et co-réalisateur du show), conseiller financier de Chicago et blanchisseur de billets verts à ses heures perdues, trouve dans cet Eden capitaliste une possible voie de salut pour lui et sa famille : lorsque son partenaire arnaque un client dangereux, il évite la mort in extremis en promettant à ce dernier, lié aux cartels mexicains, d’y blanchir 500 millions de dollars en cinq ans… La promesse improvisée à la hâte face au canon de pistolet se transforme en engagement sans retour, et notre homme plie bagages avec femme et enfants pour voguer vers sa nouvelle et dangereuse vie, suivi de près par les hommes de main de ses employeurs et deux agents acharnés du FBI.
Une recette à l’apparence familière mais aux saveurs inattendues
Tous les articles consacrés à Ozark tracent un parallèle avec Breaking Bad, la formidable série de Vince Gilligan dans laquelle un prof de chimie atteint d’un cancer en phase terminale se reconvertissait en fabriquant de méthamphétamines pour mettre sa famille à l’abri du besoin. Notre texte ne fera pas exception, et pour cause : un semblable anti-héros masculin de 40-50 ans, blanc, hétéro et mal dans sa peau, met le doigt dans un engrenage criminel pour sauver sa famille, et vire peu à peu du côté obscur de la morale et de la loi. Rien de nouveau sous le soleil de la création télévisuelle américaine à priori, d’autant plus que le modèle semble éculé à l’heure où les meilleures séries jouent une partition soit progressiste (les féministes Girls et Chewing Gum ou les queer Sense8 ou Transparent), soit auto-réflexive (la méta The OA ou la tentaculaire saison 3 de Twin Peaks).
https://youtu.be/3KxY0nxQueM
On aurait tort pourtant de bouder son plaisir, et raison de pousser l’exploration de la série de Bill Dubuque et Mark Williams (II) au delà de son pilote plutôt convenu : c’est quand le famille Byrde atteint la fameux lac que le récit déploie, sous une forme sobre et relativement classique, un éventail narratif et thématique à même de la distinguer de son illustre aînée. En osant imbriquer la criminalité, l’esprit start up et le mythe du self made man, elle envisage le capitalisme sauvage comme une forme discrète de criminalité. En associant pleinement la famille de Martin Byrde à son sinistre commerce, elle éprouve la solidité des liens familiaux face au mensonge et au danger. Ce sont ainsi deux fondements de l’identité américaine, la famille et l’esprit d’entreprise, qui sont étrillés en filigrane d’un thriller par ailleurs de haute tenue.
Un nouveau far west économique
Cette déconstruction en règle s’opère dans un terrain de jeu fascinant derrière son apparente banalité : le lac des Ozarc, loin des radars de la loi, fait figure de nouveau far west à la fois excitant et inquiétant, tangible et fantasmé. Tangible parce que l’habile Martin Byrde y trouve une foule d’entreprises en difficulté (du bar local aux airs de saloon aux pompes funèbres et passant par le « tities bar« ) à « sauver » en y investissant son argent sale, qu’il récupèrera in fine blanchi à grand renfort de dépenses gonflées et de comptes trafiqués. Fantasmé car emprunt de légendes locales, histoires de familles chassées de leurs terres où lignée dévorée par la criminalité, cadavres au fond des eaux et église engloutie dont la cloche résonne encore parfois comme un sombre présage…
Comme dans tout bon western, même contemporain, Ozark brille également par l’attention portée à ses personnages secondaires, au premier rang desquels les Langmore, famille de gangsters white trash à la fois bouseux et touchants, malins et crétins, agents du mal ambiant et laissés pour compte du système. On y croise également une farouche tenancière de bar, des propriétaires terriens aux méthodes expéditives, un pasteur illuminé qui prêche sur un bateau au milieu du lac et un agent du FBI dévoré par son enquête.
Jusqu’où peut tenir soudée une famille ?
La menace permanente que les activités de Martin Byrde font peser sur sa famille, les attaques régulières que ses membres subissent de toute part, et un passif chargé d’infidélités et de haine mutuelle, auraient dû suffire à faire imploser la fragile structure qui donne un sens à la vie de l’anti-héros. Cependant, loin d’un Breaking Bad où la femme et le fils de Walter White étaient essentiellement des victimes de sa sortie de route criminelle, la femme, la fille de quinze ans et le fils de treize ans de Marty deviennent peu à peu des rouages essentiels de son activité de blanchiment : après tout, elle constitue leur assurance survie à tous. Wendy Byrde passe ainsi de quinqua atone à partner in crime, quand les jeunes Charlotte et Jonah modèlent peu à peu leurs personnalités à l’image de leur généalogie paternelle.
https://youtu.be/b0TMM0c3tnQ
La famille, dans Ozark, est donc gérée comme une entreprise criminelle, et peu importe les tensions internes, il s’agit de faire front. Quoi qu’il arrive, elle restera la plus petite unité de mesure du récit, sa cellule originelle, dont le noyau porte l’empreinte de Jason Bateman. Impeccable, le comédien habitué des pochades du frat pack (génération d’acteurs comiques américains apparus dans les 90’s) livre ici une partition sobre et sans excès, bloc d’understatement aux émotions rentrées mains non moins bouillonnantes, dont on suivrait avec plaisir la sombre trajectoire dans une deuxième saison.
Ozark saison 1, disponible sur Netflix.
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