La créatrice de Weeds revient sur Netflix avec « Orange Is the New Black », une comédie où elle met son héroïne derrière les barreaux.
Après le drame politique ultra-sérieux (House of Cards) et une tentative de série d’horreur (Hemlock Grove), le bulldozer Netflix s’attaque à la comédie dépressive pour adultes, un genre plutôt pointu et largement sous-estimé par la concurrence. Le géant du streaming a débauché Jenji Kohan, créatrice inspirée de Weeds (2005-2012), qui a eu l’idée d’adapter l’ouvrage de Piper Kerman, Orange Is the New Black. Cette jeune fille de bonne famille racontait son séjour en prison après une histoire rocambolesque d’amour lesbien et de trafic de drogue. C’est évidemment le point de départ de la série, quand une blonde aux airs de petit oiseau tombé du nid pointe, accompagnée par son boyfriend complètement « normal », à l’entrée d’un pénitencier où elle portera comme les autres une large tenue orange et mangera une nourriture discutable.
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Une héroïne de Woody Allen immergée dans un univers proche d’Oz, la série des années 90 de Tom Fontana sur la prison ? Ce pitch aussi loufoque que désirable est à la fois une réalité et un horizon lointain. Très vite, Orange Is the New Black trouve sa propre identité. L’arrivée de Piper (l’héroïne porte le même prénom que l’auteur du livre) dans cette réalité qu’elle pensait ne jamais fréquenter, est scrutée jusqu’au moindre détail, quasiment sans ellipses. Piper prend sa première douche, Piper pleure, Piper est troublée sexuellement, Piper est interdite de bouffe à la cantine, Piper se fait draguer, Piper téléphone à son mec, Piper perd une mèche de cheveux, Piper revoit son ex qui l’a trahie, Piper se dit qu’elle n’y arrivera jamais. Autour d’elle, une flopée de femmes plus ou moins jeunes, plus ou moins folles, et une poignée de gardes, tous des hommes, constituent l’essentiel de son quotidien.
Une routine que Orange Is the New Black explore sans se soucier des conventions de durée et de genre. Dans le monde des séries normales, une comédie dure moins de trente minutes. Dans le monde parallèle de Netflix, les treize épisodes de la première saison font cinquante minutes bien tassées et la plupart des enjeux s’avèrent dignes d’un drame. La légèreté s’assombrit en permanence, mais si tout va mal, une détenue balance une vanne pour dire la vérité sans pour autant en venir au suicide. A l’épisode 3, une « butch » déclare : « Ici, c’est plus déprimant qu’un groupe de reprises de Tori Amos. » Jenji Kohan n’a pas perdu son sens de la réplique pince-sans-rire, elle aime toujours observer la chute et la renaissance de figures banales entraînées par les circonstances extraordinaires de la vie – dans Weeds, une mère de famille perdait son mari et se lançait dans le trafic de drogue.
Si elle repose sur un personnage fort, Orange Is the New Black n’est pas pour autant bloquée sur son héroïne. Depuis Lost, une référence pas si impromptue au vu de l’utilisation commune des flashbacks, peu de séries se sont montrées aussi généreuses avec un collectif de personnages que celle-ci. Au fil des épisodes, plutôt que d’entamer une vaine course en avant, elle navigue au contraire tranquillement dans les méandres de quelques vies abîmées. Si toutes ne sont pas fascinantes, quelques-unes sortent du lot – une vieille dame, un transsexuel – et la fiction prend le temps de s’arrêter sur leurs cas, comme si dévier d’une route toute tracée constituait sa nature même. Dans l’univers carcéral sans illusion décrit ici sans avoir l’air d’y toucher ( » Ce n’est pas l’Amérique dans cette taule », prévient une détenue), ce choix narratif aussi paisible et parfois profond fonctionne comme un appel d’air. Ni tout à fait réaliste, ni franchement barrée, émouvante par surprise, Orange Is the New Black invente une petite musique aussi étrange qu’entêtante.
Orange Is the New Black créée par Jenji Kohan, Netflix.
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