Les Allemand·es Jantje Friese et Baran bo Odar reviennent sur Netflix avec “1899”, une série chorale et internationale qui prend place sur un paquebot traversant l’Atlantique à la fin du XIXe siècle.
Partant d’une enquête policière labyrinthique, placée sous l’égide de Twin Peaks et de Stephen King, Dark bifurquait peu à peu vers la SF pure à force de voyages temporels et autres paradoxes métaphysiques propices à faire fumer les méninges. Jusqu’à une troisième et ultime saison aussi généreuse qu’inévitablement confuse, où les scénaristes semblaient naviguer à vue, ramifiant sans cesse un récit devenu trop sinueux pour être dompté.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est à l’aveugle que longtemps nous naviguons devant 1899, la nouvelle création (toujours sous pavillon Netflix) des Allemand·es Jantje Friese et Baran bo Odar, qui entendent cette fois-ci garder le cap de leur ambition (démesurée).
Littéralement d’abord, puisque la série nous embarque sur le Kerberos, un imposant paquebot traversant l’Atlantique avec à son bord des passager·ères d’origines diverses, Européen·nes pour la plupart, laissant derrière elleux d’insondables démons et scrutant l’horizon américain avec l’espoir d’un nouveau départ, d’une nouvelle vie.
C’était sans compter sur le message de détresse émis par le Prometheus, un autre paquebot de la même compagnie, mystérieusement disparu quatre mois plus tôt. Lorsque le capitaine du Kerberos décide de se rendre aux coordonnées indiquées, c’est le destin de tous·tes les passager·ères qui est soudainement bouleversé.
Fiction polyglotte
Conçue, à l’instar de Dark, comme un vaste puzzle adressé aux spectateur·ices, 1899 convoque tous les registres attendus : la fiction historique, puisque l’intrigue (on vous le donne en mille) se situe en 1899, l’horreur, dans sa manière d’instiller le mystère par l’effroi, et ce savant mélange de fantastique et de SF, qui avait fait le succès de Dark et innerve ici toute la structure narrative de la série.
Comme l’île de Lost – mètre étalon de la série à mystères et indépassable chef-d’œuvre –, le paquebot de 1899 est autant le cadre physique de la série que le siège mental des doutes, des peurs et des obsessions de ses passager·ères. Les histoires individuelles (à l’intérêt variable) de chacun des personnages seront aussi intimement liées aux secrets que recèle le Prometheus.
Allemand·es, Français·es, Suédois·es, Chinois·es, Espagnol·es… la population du Kerberos a des allures de tour de Babel, et la série joue le jeu (risqué) de la fiction polyglotte. Si elle est plutôt tenue, la direction d’acteur·ices se heurte par endroits à cette contrainte multilingue, notamment au gré de dialogues parfois peu sensés, pour ne pas dire un peu ridicules.
Entre vide et vertige
Offrant quelques visions ébouriffantes (des passager·ères comme possédé·es se jettent à l’eau par centaines, un navire disparaît en un clin d’œil…), tout en aménageant un univers singulier qui en convoque d’autres (il y est question de fantômes et de résurrections, de perturbations temporelles et d’apories quantiques),1899 avance sur une ligne de crête entre vide et vertige, et impose une foi en sa machine fictionnelle qui force le respect.
Passé·es maîtres dans les récits à énigmes, maniant le mindfuck avec métier, Jantje Friese et Baran bo Odar signent une nouvelle série intrigante, par moments envoûtante. On pourra néanmoins lui reprocher un sérieux papal un peu plombant (à l’inverse de Lost par exemple) et des personnages unidimensionnels qui tirent invariablement la gueule, débitant intensément des dialogues solennels pas toujours à la hauteur de l’ambition de la série.
1899, disponible sur Netflix.
{"type":"Banniere-Basse"}