Dans la saison 3 d’Easy, Joe Swanberg continue de sonder les relations amoureuses et sexuelles de ses personnages citadins et bobos. Et prend subtilement le pouls de l’époque.
« Nous vivons dans une époque pesante » déplore Jacob, auteur de bandes dessinées à succès et prof vacataire pour écrivains en herbe. Lorsqu’il apprend qu’une ancienne étudiante, avec qui il a eu une brève liaison, fait de lui un portrait peu flatteur dans un roman à paraître, cet intellectuel névrosé à la cinquantaine bien tassée – qu’on croirait sorti d’un roman de Philip Roth – fustige d’abord une époque aux mœurs policées, rendue paranoïaque par l’émergence du mouvement #MeToo.
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Mais à ce parfum de scandale, la saison 3 de Easy, dont l’histoire de Jacob constitue l’un des neuf épisodes, oppose une résolution en pente douce. Comme souvent dans la série de Joe Swanberg, c’est au gré d’une discussion à cœur ouvert que se désamorce le conflit, et lorsque Jacob confronte la jeune femme qui lui reproche d’avoir tiré avantage de sa position pour coucher avec elle, avant de l’ignorer couardement, il prend la mesure du comportement limite qui lui avait curieusement échappé, et l’époque s’en voit soudainement allégée.
A l’aune d’une époque et d’une ville
Depuis 2016, Easy ausculte avec délicatesse les affaires de cœur et de cul d’une poignée de Chicagoans pris dans les turbulences d’amours modernes. Comme dans les deux précédentes, cette troisième saison se compose d’épisodes indépendants, où l’on retrouve beaucoup de personnages déjà croisés. C’est le cas de Kyle et Andi, le couple de quadras en panne sexuelle qui, après avoir goûté aux joies de l’union libre, en expérimente les douloureux remous. Mais aussi d’Annie, célibataire endurcie qui se fixe pour objectif d’accepter pendant un mois tous les dates que lui proposera une appli de rencontre. De leur côté, Chase et Jo, le couple lesbien formé dans la saison 1, décident de mettre un terme à leur relation au moment de renouveler le bail de leur appartement.
La ville, c’est Chicago, filmée en un havre de gentrification soft où prolifèrent vergers suspendus et salles de spectacle conceptuelles
Des bribes d’existence, parfois heureuses, souvent contrariées, que Joe Swanberg radiographie à l’aune d’une époque et d’une ville. L’époque, c’est la nôtre, celle de la fin des années 2010, des amours libres et plurielles, des affinités électives autant que numériques. La ville, c’est Chicago, filmée en un havre de gentrification soft où prolifèrent vergers suspendus et salles de spectacle conceptuelles. C’est que la série, à quelques variations thématiques près, tire le portrait sensible d’une communauté de bobos aux origines et orientations sexuelles variées, et trace avec douceur la mosaïque complexe de leurs affects.
Affinités sexuelles et amoureuses
Rivée à minimalisme quasi dogmatique (et très mumblecore – mouvance déflationniste du cinéma indépendant américain), souvent anti-dramatique, Easy excelle quand elle tourne à vide, s’autorisant à filmer en une longue stase, la conversation embuée d’un couple qui se délite ou celle hésitante d’amoureux qui s’ignorent. Son sens de l’épure narrative, que vient soudainement juguler un long tunnel de dialogues, et son exploration spectrale de sentiments ténus, apparente parfois Easy à un certain pan de la littérature américaine et peut évoquer l’œuvre de John Cheever – grand nouvelliste qui auscultait l’Amérique pavillonnaire des années 1950 – dont on aurait transposé l’action dans le Chicago bohème de la fin des années 2010, et remplacé les non-dits signifiants par de longs dialogues introspectifs.
Lorsqu’elle prend le pouls de son époque, Easy fait souffler sur le territoire normatif des relations amoureuses, un vent libertaire aux nuances salutaires
La forme composite d’Easy rend cette troisième saison évidemment inégale. Si l’on se réjouit des frasques drolatiques d’un employé d’une entreprise de filature chargé d’infiltrer une soirée BDSM (l’un des épisodes les plus savoureux de la série), on peine en revanche à s’intéresser au sort de deux frères brasseurs (déjà croisés dans les saisons précédentes) qui se livrent une guerre froide par épouses interposées. Mais lorsqu’elle prend le pouls de son époque, et sonde avec tendresse les affinités sexuelles et amoureuses d’une poignée de citadins pétris de désirs et de doutes, célibataires endurcis ou polyamoureux débutants, gays ou hétéros, Easy touche juste et fait souffler sur le territoire normatif des relations amoureuses, un vent libertaire aux nuances salutaires.
Si, faute d’audience, la série de Joe Swanberg ne sera pas renouvelée pour une quatrième saison, sa conscience des enjeux contemporains, sa veine délicieusement indie et sa facture doucement littéraire lui auront toutefois fait emporter les suffrages d’un public qui se retrouve certainement un peu en elle. On ne saura trop vous le conseiller : take it easy.
Easy de Joe Swanberg. Saison 3 disponible sur Netflix
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