J’arrive au mythique Beverly Hills Hotel, et son non moins légendaire Polo Lounge où fut écrite l’histoire parallèle d’Hollywood, palais pseudo-méditerranéen en stuc rose posé au milieu d’une palmeraie qui orne la pochette d’Hotel California des Eagles. Ma mission : ramener un bon entretien avec l’inspecteur Columbo, ou plutôt avec Peter Falk. Petit problème, c’est […]
J’arrive au mythique Beverly Hills Hotel, et son non moins légendaire Polo Lounge où fut écrite l’histoire parallèle d’Hollywood, palais pseudo-méditerranéen en stuc rose posé au milieu d’une palmeraie qui orne la pochette d’Hotel California des Eagles. Ma mission : ramener un bon entretien avec l’inspecteur Columbo, ou plutôt avec Peter Falk. Petit problème, c’est un junket, une « interview collective » en comlangue : nous serons quatre ou cinq à questionner l’acteur.
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Columbo déboule, sans son vieil imper, ni sa 403, ni son cigare, ni sa voix française (celle de Serge Sauvion), mais avec sa bonne bouille éclairée de ce regard oblique faussement à côté de la plaque. L’actu de Falk, c’est Cookie, comédie anodine de Susan Seidelman qui met en contact une ado girlie et son père mafieux. Mes collègues cabotent autour du film entre langue de bois massif et questions cruciales : « Vous aimez les pastas ? », « Et qui cuisine chez vous ? »… Je constate assez vite que mes camarades ne sont pas hyper-méga-cinéphiles mais plutôt du genre chroniqueurs mondains pour Vogue Italie ou Cosmopolitan Finlande.
On aborde le chapitre Columbo, un peu plus intéressant, mais je sens bien que l’inspecteur s’ennuie un peu, répond par courtoisie et professionnalisme. Je sors alors la carte Wim Wenders – Falk a joué son propre rôle dans Les Ailes du désir deux ans avant. Son oeil s’allume alors que les envoyés de MachetteFilipCondéNaze worldwide Inc. écarquillent les leurs, se répétant mentalement « Hein ?! Wim qui ?!? » Columbo est tout content de quitter ses enquêtes et d’embrayer sur le sens de l’improvisation du cinéaste allemand.
Après cette séquence Wenders, j’enchaîne façon Columbo au moment décisif de son enquête : « Au fait Peter, avant de nous quitter, pendant que je vous tiens, ahem, une petite question anodine, ça vient de me revenir, euh… John Cassavetes… » Bingo ! À ce seul nom magique, Falk devient intarissable, il est entièrement à moi, pendant que mes collègues people tirent des gueules de cancres largués dans un cours magistral de physique quantique.
« John était un visionnaire, John était un des rares vrais artistes de ce business, il était en avance sur tout le monde, rendez-vous compte, Shadows, une romance interraciale, en 1959 ! Et Husbands, un film sur des quadras en costume en pleine période hippie ! »
Et bla bla bla, John ceci, John cela, John this et John that…, Falk décolle une demi-heure en quasi-roue libre sur son cher Cassavetes, coeur battant, oeil humide, souvenirs en rafale. Je tiens mon entretien, j’ai serré Columbo. Ou plutôt, j’ai débusqué l’excellent Peter Falk derrière sa plus célèbre mais encombrante défroque.
En quittant le Polo Lounge, mes collègues sont au bord de me demander un autographe : « Euh, vous avez un doctorat en cinéma ou quoi ?! Vous avez dû brûler des heures de recherches et de préparation, non ? » (c’était des siècles avant Wikipédia – ndr) – « Ben non mon con, j’étais juste un peu au courant du parcours de la personne que je suis venu interviewer. C’est pas si sorcier, ça s’appelle faire normalement son travail. Salut. » Pas de coupé 403 à la sortie, ni de coupable menotté, mais un superbe coucher de soleil en Technicolor sur l’Hotel California.
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