Créée par Nima Javidi, la lauréate du Grand Prix au festival Séries Mania 2024 suit les tribulations d’une petite bande de comédien·nes fauché·es. Réjouissant.
Imperturbablement, la même citation de William Shakespeare – tirée de Comme il vous plaira (1623) – ouvre tous les épisodes de The Actor : “Le monde entier est un théâtre et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Notre vie durant, nous jouons plusieurs rôles.” Une belle entrée en matière venue d’un pays, l’Iran, dont on connaît les merveilles du cinéma d’auteur depuis au moins Abbas Kiarostami, mais beaucoup moins celles de la télévision et des séries. Débarquée en compétition au festival Séries Mania en 2023, cette création de Nima Javidi (réalisateur de deux longs métrages, Melbourne en 2014 et The Warden en 2019) en est repartie avec le Grand Prix, au nez et à la barbe d’une sélection internationale costaude. Un an et des poussières plus tard, la voilà sur Arte, pour la première fois en France. Et c’est une vraie curiosité.
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Pourquoi ces mots de Shakespeare, au fait ? Pour délimiter un espace par nature infini, celui de la fiction, qui occupe The Actor de bout en bout. Le pitch est génial, il faut le dire. Dans les premières minutes, deux hommes à l’allure tout à fait normale se retrouvent sur une moto pourrie au milieu d’un désert, par temps hivernal. Une voiture a crevé, ils proposent leur aide, puis tout s’envenime. Quelques instants plus tard, nous comprenons que tout cela n’était qu’un coup monté, une pure mise en scène destinée à offrir à un homme amoureux d’une femme la possibilité d’une demande en mariage hors du commun. La scène se termine par une danse de la joie. The Actor se déploie alors dans les pas de cette petite bande de comédien·nes chevronné·es mais fauché·es qui prennent très au sérieux leurs embardées quasi situationnistes.
La petite fabrique du théâtre
Faute de trouver des rôles dans des pièces, ils et elles sont rémunéré·es pour jouer des moments de vie quotidienne plus ou moins exceptionnels, à la demande de tiers. C’est souvent très drôle et assez profond. Nima Javidi, bien aidé par Navid Mohammadzadeh, Ahmad Mehranfar, Soha Niasti et Hasti Mahdavifar, les acteur·rices, trouve ici un matériau d’une richesse folle, absolument sériel. The Actor se renouvelle constamment au gré des jobs trouvés par les personnages, tout en s’intéressant largement au processus de création qui les anime. On les voit non seulement se maquiller, s’habiller, se grimer, mais aussi répéter des scènes, en écrire même, laisser leurs états d’âme polluer leur pratique.
La petite fabrique du théâtre, même dans l’Iran contemporain, reste vivace et désirable. Pour autant, la série n’est pas franchement théorique, plutôt en recherche d’une forme de réalisme dans la fausseté ambiante. Ici, tout le monde joue mais les sentiments et les corps s’impriment en nous. La série regarde ses personnages sans hauteur et sans ironie, elle les inscrit dans une urgence, une immédiateté qui fait que toutes leurs interprétations, même les plus ridicules, trouvent sens à nos yeux. Ce “à quoi jouent-ils ?” pose une autre question : à quoi jouons-nous ?
Sorties de routes hilarantes
Sans être parfaite, The Actor fait preuve d’une totale liberté, notamment dans sa rythmique, insoumise au tempo événementiel des séries actuelles. Bavarde, comique, attirée par le pathétique, cette série à infusion lente se permet de constantes sorties de route franchement irrésistibles. Reste à savoir ce qui, dans ce théâtre de masques et de voiles, transparaît de la réalité politique d’un pays. The Actor ne fait en apparence aucune allusion directe aux drames en cours – elle a été tournée intégralement avant la révolte des femmes qui a débuté en 2022 – et ne montre pas d’instances étatiques à l’œuvre. Un peu comme si la fiction pouvait, le temps d’une série, imaginer un État dans l’État, où les règles seraient différentes.
On ne sait pas quelles sont les relations entre le créateur et le régime des mollahs, d’autant qu’il est assez difficile d’obtenir des informations fiables sur les conditions de tournage. Mais il semblerait que The Actor ait réussi à contourner la censure pour donner des nouvelles à la fois d’un pays et de nous-mêmes.
The Actor de Nima Javidi, avec Navid Mohammadzadeh, Ahmad Mehranfar, Soha Niasti… Sur Arte à partir du 16 mai et sur Arte.tv.
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