Dans une série sur Arte, le réalisateur développe un motif de science-fiction délicieusement arbitraire. Mais l’émotion se dilue…
Alors que sortait la semaine dernière Thalasso, son film sur les hommes fatigués où devisent les néocomiques Michel Houellebecq et Gérard Depardieu, Guillaume Nicloux démontre son sens du grand écart en proposant cette semaine une tragédie qu’Arte diffuse en une seule soirée forcément compacte – quatre épisodes à la suite et dodo. Le réalisateur de Valley of Love, qui a écrit Il était une seconde fois avec Nathalie Leuthreau, retrouve Gaspard Ulliel, déjà filmé il y a deux ans sous toutes les coutures dans Les Confins du monde, l’histoire à la fois sensuelle et métaphysique d’un soldat français en Indochine, circa 1945.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce personnage semble ici réincarné dans une autre de ses vies. L’action a lieu aujourd’hui, au cœur d’un monde dont Nicloux minore les effets contemporains, comme pour expliquer qu’il se situe ailleurs, ou nulle part. Dans une trouée de fiction éternelle, sans âge, s’érige un récit amoureux classiquement brutal.
Réparer une histoire d’amour en revenant dans le passé
Un homme est quitté – c’est Vincent (Gaspard Ulliel) – et il ne le supporte pas, au point de vivre hanté. Il veut retrouver celle qui l’a bouleversé – c’est Louise (Freya Mavor) – jusqu’au moment où l’univers se plie, en apparence, à ses désirs. Un colis lui est livré sans qu’il ne l’ait commandé, un simple cube dans lequel il lui suffit de se glisser pour revenir quelques mois en arrière, quand elle et lui s’aimaient encore. Il peut reprendre le fil de ce qui a dérapé et revoir celle qui a disparu.
Ce motif de science-fiction affective délicieusement arbitraire, Nicloux l’accompagne d’un changement de format : le passé est filmé en format 4/3 (un quasi-carré, celui du cinéma de la première moitié du XXe siècle puis de la télévision jusqu’aux années 2000), tandis que le présent reste collé aux exigences de nos écrans allongés. Le récit se déplie en un rythme déphasé, celui des regrets, des peurs, des espoirs de corriger ce qui a été mal vécu ou raté.
C’est l’amour comme pulsion à la fois mortifère et réparatrice que sonde Nicloux
C’est l’amour comme pulsion à la fois mortifère et réparatrice que sonde Nicloux, avec Hitchcock (Vertigo) et Lynch (Mulholland Drive) en saints patrons potentiellement bienveillants. On pense aussi au Resnais sixties de Je t’aime, je t’aime, l’un des plus beaux films du monde, mais il ne faudrait pas y penser trop non plus.
Le jeu d’étrangeté produit au départ son effet. La belle idée mélodramatique du scénario et la sécheresse de Nicloux vont bien ensemble : c’est comme s’il filmait sans en être dupe l’effondrement d’une âme et d’un regard, quelque chose d’une faiblesse humaine qui consisterait, comme le dit un beau dialogue à propos de tout autre chose, à « reconstruire des ruines sur des ruines ». Une définition de la fiction du “remariage” comme une autre, un combat perdu d’avance qui mérite d’être aimé.
Un récit qui tourne en rond dès le deuxième épisode
Cela dure un épisode et des poussières, avant que l’émotion ne se dilue à mesure que les personnages paraissent irréconciliables. Car Ulliel et Mavor font avancer leurs solitudes respectives sans vraiment les frotter. Leur couple n’a pas l’évidence des grands drames romantiques. Le récit, fatalement, tourne plus en rond qu’il ne le fait déjà naturellement. On aurait imaginé plus aisément l’acteur de Saint Laurent dans le rôle de celui qui quitte : son évanescence, son absence à lui-même auraient fait merveille. Mais on parle d’une autre histoire, qui ne se rejoue pas.
Filmer en simultané l’intensité de l’amour et l’intensité de la perte n’a rien de simple
Le désintérêt manifeste de Nicloux pour la forme sérielle n’est donc pas vraiment le souci. “Il ne s’agit pas d’une série traditionnelle”, explique-t-il sans grande conviction dans le dossier de presse – personne n’est parfait, même si on aimerait un jour qu’un.e cinéaste français.e embrasse réellement la question des récits au long cours, comme Pialat a pu le faire avec La Maison des bois dans les seventies.
Ce qui manque le plus à Il était une seconde fois, c’est une folie propre capable de perturber son programme, d’éclairer et d’accompagner celle du personnage, pour rendre la quête de cet homme blessé plus incarnée. Filmer en simultané l’intensité de l’amour et l’intensité de la perte n’a rien de simple. On ne peut que louer Nicloux d’avoir essayé et regretter qu’il ne nous ait pas terrassé d’émotion.
Il était une seconde fois, jeudi 29 août à 20h55 sur Arte. En replay du 22 août au 26 octobre
{"type":"Banniere-Basse"}