Le lancement du géant du streaming américain est prévu en France pour mi-septembre. Mais entre une offre encore floue et une stratégie fiscale agressive, il s’est déjà attiré quelques inimitiés.
Après des mois de rumeurs et de supputations, c’est désormais une certitude: Netflix va s’installer en France. Le géant du streaming américain, qui revendique près de 48 millions d’abonnés dans le monde (dont 35 aux Etats-Unis), aura méthodiquement préparé son installation dans le plus grand secret. Visite de courtoisie à l’Elysée, négociations avec des producteurs et distributeurs français, rencontre, il y a quelques jours, avec les principaux titres de la presse nationale, sommés de ne pas publier leurs informations avant la date de lancement du site : les émissaires de Netflix ont vu les choses en grand pour ce qui s’annonce comme un possible bouleversement du paysage audiovisuel français.
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Ils ont également commencé à préparer leur implantation technique en signant un accord avec la société Telehouse qui dispose d’un grand centre de traitement des donnéesinformatiques à Paris. « Il n’y aura plus qu’à presser le bouton pour lancer la machine et le site sera accessible partout en France », explique le consultant en médias et spécialiste de la VOD Pascal Lechevallier. « Ça va être un raz-demarée, ajoute un proche du dossier. Dans la presse, à la télévision, Netflix va mener une campagne de pub agressive pour faire de son arrivée un événement immanquable. »
Un abonnement mensuel illimité
Prévu pour la mi-septembre, le lancement de Netflix attise donc déjà toutes les curiosités, sans que l’on sache précisément à quoi ressemblera l’offre. Selon les quelques informations qui ont fuité, Netflix devrait appliquer dans les grandes lignes son modèle américain au territoire français : en échange d’un abonnement mensuel – on parle de 8 euros pour une formule basique -, il permettra aux internautes d’avoir accès en streaming à une importante collection de films et de séries, le tout de manière illimitée, façon Deezer ou Spotify. D’abord disponibleuniquement sur internet et les appareils connectés, smartphones et tablettes, l’offre pourrait s’élargir aux téléviseurs si les négociations entre la société américaine et les principaux opérateurs (Bouygues, SFR, Free…) venaient à aboutir.
Dans tous les cas, Netflix devrait étendre sa toile de manière progressive en France, même si la plupart des observateurs doutent de la capacité réelle du site à attirer massivement les abonnés : « Passé l’effet de nouveauté, rien ne dit que le site va s’implanter ici, commente Pascal Lechevallier. Netflix a une identité très anglo-saxonne qui n’est pas forcément compatible avec les habitudes de consommation des téléspectateurs français. On verra s’ils arrivent à proposer une offre assez séduisante, mais je ne crois pas qu’ils atteindront l’objectif du million d’abonnés en un an. »
Catalogue de plus de 100 000 titres
S’il est impossible de connaître dans le détail le contenu que proposera la version française du site, les premièresrumeurs indiquent qu’il pourrait là aussi rester fidèle au modèle US : on y trouvera une large collection de films et de séries piochée dans un catalogue de plus de 100 000 titres, dont une majorité des séries déjà diffusées par les grands networks américains (Dexter, Breaking Bad, Sons of Anarchy, Twin Peaks…), à l’exception notable de HBO, propriétaire de ses propres shows. Contraint de respecter la chronologie des médias, imposant un délai de trente-six mois entre la sortie d’un film et sa diffusion en streaming, Netflix fondera ainsi son offre sur un catalogue de titres anciens, auxquels il faudra ajouter ses ambitieuses séries autoproduites comme Orange Is the New Black ou House of Cards (même si cette dernière devrait rester pour un temps sur Canal+, son diffuseur historique).
Et ce n’est pas tout : en parallèle à ses contenus américains, qui devraient représenter 80 % de l’offre totale du site, Netflix a fait le choix de diffuser des créations françaises. Ses émissaires ont ainsi rencontré des producteurs locaux, dans le double objectif d’acheter des titres de catalogues et, dit-on, de financer une première série estampillée Netflix France. La compagnie de Luc Besson, EuropaCorp Télévision, et la société indépendante Haut et court (Entre les murs, La Femme du Ve) auraient été approchées mais aucune n’a pour l’instant souhaité communiquer sur l’issue de leurs discussions avec le site américain.
« Nous ne savons pas à qui nous aurons affaire »
Producteur de la série Ainsi soient-ils, diffusée sur Arte, Bruno Nahonreste quant à lui plutôt sceptique au sujet du rôle que jouera Netflix dans la création française : « Ils vont peut-être financer des séries ambitieuses, avec des budgets jusqu’ici jamais vus en France, mais nous ne savons pas à qui nous aurons affaire. Avec ce genre de grand groupe, on ne parle souvent que de chiffres et de marketing. Vont-ils soutenir les auteurs, défendre des projets singuliers ? Rien n’est sûr. »
Attendre pour juger, c’est aussi la position de la plupart des diffuseurs français de séries, qui observent d’un oeil attentif l’arrivée de ce nouveau rival. « On s’y est préparé depuis longtemps, en optimisant notre offre ou en proposant de nouvelles chaînes comme HBO », indique Guillaume Jouhet, le directeur général d’OCS, qui assure rester confiant et ne souhaite pas commenter la rumeur selon laquelle Orange travaillerait à une nouvelle structure commandée par Arnaud Montebourg pour contrer Netflix. « Nous n’avons pas de réplique spécifique pour l’instant, mais allons poursuivre et améliorer notre offre. Netflix a fondé sa stratégie sur le volume de son catalogue et le lancement de séries originales comme House of Cards pour faire le buzz tous les trois mois. Or ce que les gens veulent, c’est un choix plus immédiat, de la nouveauté », poursuit-il. Face au géant américain et son algorithme sophistiqué, qui permet au consommateur de naviguer dans le catalogue en fonction de ses goûts, certaines sociétés de VOD françaises avancent un autre argument de poids : l’éditorialisation. « Plutôt que de mettre à disposition des centaines de milliers d’oeuvres comme Netflix, on fait le pari d’une sélection très précise et d’une présentation des films », note Jean Ollé-Laprune, directeur administratif et financier de FilmoTV.
Mais derrière les discours de confiance, la plupart des observateurs se méfient encore de Netflix et dénoncent les conditions de son lancement : en décidant d’installer son siège européen aux Pays-Bas, après avoir longtemps envisagé le Luxembourg, le géant américain a décidé de contourner la législation française en termes de fiscalité.
Il ne sera donc pas soumis aux mêmes taxes que les diffuseurs historiques, ni aux mêmes obligations de financement de la création française, notamment du cinéma, créant ainsi une situation de « concurrence déloyale », selon le directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, Pascal Rogard : « C’est une position très agressive vis-à-vis de l’exception culturelle française, une manière de déstabiliser tous nos systèmes de régulation, dit-il. Le CNC réfléchit à des mesures de réparation, mais ils vont sans doute se heurter à Bruxelles et à son dogme de la libre concurrence qu’exploite opportunément Netflix. »
Pour mesurer les pertes que représente cet exil fiscal, il faudra attendre la publication de ses premiers chiffres d’affaires, ajoute Pascal Rogard. Et voir si la montagne Netflix accouche d’une souris.
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