Soutenue par un décor indistinct de ville de bord de mer, Moloch mêle conte fantastique et polar social en se faisant l’écho des violences contemporaines.
Identifier des auteur·trices dans les séries françaises n’a rien d’évident, tant la régularité et la cohérence des projets s’inscrivent rarement sur le long terme. Prenons Arnaud Malherbe, réalisateur et coscénariste de Moloch, thriller social et fantastique qu’Arte diffuse en deux soirées bien tassées.
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Journaliste passé à l’écriture et à la réalisation il y a une décennie, le quadra a signé des téléfilms avant de se faire connaître avec les six épisodes de Chefs sur France 2 en 2015, qui ne nous préparaient pas aux ambitieuses tentatives de sa nouvelle série. Il était question d’un cuisinier cabossé intérieurement, dans un style engoncé où les drames semblaient artificiels. D’emblée, Moloch (coécrite avec Marion Festraëts) se situe dans un imaginaire plus étonnant et un désir plus net.
https://www.youtube.com/watch?v=WSbw6PGjWgg
Marine Vacth, Arnaud Valois, deux acteur·trices en feu
Nous sommes dans une ville indéterminée de bord de mer, où un passé industriel glorieux se dessine à l’état de traces, comme si une époque était révolue, remplacée par un univers d’incertitude et de froideur. Cette géographie urbaine appelle à la solitude, et c’est ce qui frappe d’ailleurs dans toute la série : la difficulté des un·es et des autres à créer des liens, à trouver un minimum de sens collectif dans leur existence. Moloch montre des êtres côte à côte qui partagent une géographie et quasiment rien de plus. Ils ressemblent à la France d’aujourd’hui.
Dans ce réel gris et métallique, des flammes apportent de la chaleur, mais pour détruire : à plusieurs reprises, des hommes et des femmes prennent feu sans raison apparente, alors qu’ils et elles sont occupé·es à leur vie quotidienne.
Marine Vacth fascine par sa façon de déjouer minutieusement les pièges
Ces tragiques combustions spontanées donnent à la série son axe principal, sa structure dramatique, quand une jeune journaliste (Marine Vacth), un flic (Arnaud Valois) et un psychiatre (Olivier Gourmet) se retrouvent chacun·e à leur manière impliqué·es dans la recherche de la vérité. Dès lors, Moloch révèle sa nature hybride de conte fantastique, de polar social assez classique et d’étude de personnages unis par leur incapacité à avancer autrement que dans la douleur, y compris celle qu’ils s’infligent.
Omniprésente, Marine Vacth fascine par sa façon de déjouer minutieusement les pièges que son rôle de fausse ingénue pourrait lui tendre. Elle donne à la série une profondeur et une émotion constantes, mais surtout un mystère. Louise avance, persiste dans son enquête, et pourtant, une forme de trouble demeure. Qu’est-ce qui la motive ? Qu’est-ce qui lui donne du plaisir ?
La fiction comme une plateforme pour s’ancrer dans le présent
Même après la fin du sixième épisode, son trajet personnel reste impossible à décrypter complètement. Cela fait du bien, d’autant que Moloch peut parfois s’étirer inutilement dans un symbolisme démonstratif, notamment autour du personnage d’Olivier Gourmet dont les hantises – la mort de son jeune fils et ses conséquences – laissent entrer peu d’air. Décidément, la figure du mâle torturé semble bien difficile à renouveler en 2020.
Au-delà de son étude de caractères et de son flirt avec le fantastique – qui n’est jamais surinvesti –, la création d’Arnaud Malherbe utilise d’abord la fiction comme une plateforme pour s’ancrer dans le présent. On l’a déjà noté, les solitudes et l’impossible lien social en forment le bruit de fond permanent. Mais dans la deuxième partie de Moloch, il est frontalement question de révolte, du sens de la violence, des meilleurs moyens de combattre l’injustice collée au système étatique et social. Les échos contemporains sont nombreux, en particulier le mouvement des Gilets jaunes, dont on comprend qu’il a irrigué la phase d’écriture et le tournage.
Malherbe et Festraëts cherchent à identifier le refoulé violent de nos sociétés libérales et de quelle manière il s’immisce dans les cerveaux. Il y a un quart de siècle, le mot d’ordre était “Jusqu’ici, tout va bien”. Désormais, toute fiction sociale se doit de comprendre que le problème s’est déplacé. Nous savons déjà que tout va mal, nous voyons chaque jour que tout brûle, sans savoir comment éteindre les flammes ni même s’il faut les éteindre. Moloch affronte la question sans baisser les yeux.
Moloch sur Arte les 22 et 29 octobre. En ligne sur Arte.tv
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