Mildred Pierce, une minisérie signée Todd Haynes avec Kate Winslet illumine le printemps télé américain.
Avec un peu de mauvaise foi, on aurait trouvé quelques raisons de chercher à s’enfuir devant Mildred Pierce. Adaptée du roman de James M. Cain publié en 1941 (plus que du film de Michael Curtiz avec Joan Crawford sorti en 1945), cette minisérie diffusée sur HBO depuis le 27 mars raconte l’histoire d’une femme séparée de son mari, luttant pour exister durant la Grande Dépression. Elle convoque les ornements possiblement énervants d’une grande saga télé nouveau riche : décors somptueux, musique lancinante saturée de hautbois et autres effets choucroute.
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Et pourtant, on ne fuit pas. Mieux, on ne voit pas pourquoi, dans la foulée de Carlos l’an passé, un nouvel objet télévisuel aussi évidemment tourné vers le cinéma ne serait pas montré au prochain Festival de Cannes. Car la seule signature à la fin du générique, celle de Todd Haynes, réalisateur et coscénariste des six épisodes, suffit à nous retenir.
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Inconnu du grand public, Haynes est l’un des cinéastes américains les plus intéressants de ces vingt dernières années. Son travail sur la mélancolie de l’espace quotidien des suburbs (Safe en 1995, Loin du paradis en 2002) où sur les mythes pop contemporains (Velvet Goldmine sur David Bowie en 1998 et I’m not There sur Bob Dylan en 2007) a fait de lui un filmeur à la fois conceptuel et en perpétuelle recherche d’incarnation.
Friand d’un re-travail sur les genres hollywoodiens éternels, Haynes reste malgré tout toujours accroché aux corps qu’il filme et à leurs plus imperceptibles frémissements. C’est un postmoderne sentimental, en quelque sorte. Et il a trouvé avec cette adaptation d’un classique sur l’oppression et la libération des femmes un terrain adapté à ses obsessions. Mildred Pierce répond en effet aux normes du mélodrame social (les difficultés et les tragédies ne manquent pas) et brosse dans le même temps le portrait serré d’une héroïne blessée.
Sortie d’une histoire de couple vénéneuse et vintage dans Revolutionary Road (avec Leo DiCaprio), Kate Winslet s’est jetée à corps perdu dans cette nouvelle chronique historique, où sa carrure un peu brutale et la détermination de son regard font merveille. Todd Haynes ne paraît pas regretter son égérie de toujours, la merveilleuse et plus opaque Julianne Moore, même s’il doit laisser en route une part du mystère et de l’inquiétude qui animait ses films avec elle (Safe, Loin du Paradis).
http://vimeo.com/8076620
De toutes les séquences, ou presque, Kate Winslet emporte Mildred Pierce vers des rivages plus secs et plus durs, qu’elle parvient étonnamment à rendre émouvants. Haynes la suit à la trace, comme dans une filature amoureuse. De lents et élégants travellings au premier plan flou semblent mesurer la disharmonie du monde à travers ses pas.
Comme rarement un réalisateur peut y parvenir à la télévision, Todd Haynes trouve des solutions plastiques à ses problèmes de mise en scène. Et si Mildred Pierce a bien quelques petits défauts (un statisme parfois légèrement complaisant), on décèle assez vite ce que vise son réalisateur. Ni un regard d’historien social sur les Etats-Unis, ni une réponse à une autre série en costumes comme Mad Men, mais la (re)visitation, au sens presque mystique du terme, du portrait de femme.
Soit l’obsession principale de son cinéma, qui a toujours transcendé la question des genres. Devant cette héroïne domestique à la fois forte et accablée, saisie dans le dénuement des gestes de son quotidien, on pense à Jeanne Dielman (1975). Todd Haynes vénère le chef d’oeuvre de Chantal Akerman, véritable marqueur du cinéma moderne. Il vise ici cet horizon massif avec un point de vue malgré tout profondément américain. Passionnant.
Olivier Joyard
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