Todd Haynes (Loin du paradis) s’empare de Mildred Pierce, classique féministe américain.
Drôle d’oiseau que cette Mildred Pierce, minisérie réalisée par Todd Haynes pour HBO. A l’origine un roman de James M. Cain, puis un film avec Joan Crawford (Michael Curtiz, 1945), entré depuis au panthéon des « films de femmes » usés jusqu’à la corde par les gender studies des universités américaines, avec Ruby Gentry ou Back Street. Ces mélodrames féminins bien connus du public américain des années 40 et 50, le réalisateur Todd Haynes les voit simplement comme des films sur des « femmes dans des maisons », et à ce titre ils le passionnent – Safe et Loin du paradis, ses chefs-d’oeuvre, filmaient déjà cela.
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Une série ou une minisérie, c’est aussi une sorte de maison, peut-être même plus qu’un film. Nous voici donc dans une maison de Glendale, banlieue middle class de Los Angeles. Des mains féminines s’affairent prestement dans la cuisine tandis qu’au dehors une silhouette d’homme jardine. Mais au bout de quelques minutes, crac : scène de ménage, l’homme quitte la femme pour aller s’installer chez sa maîtresse. L’épouse se retrouve sans ressources (nous sommes en 1931, le mari a été ruiné dans la Grande Dépression), avec deux fillettes à sa charge. Mildred Pierce (Kate Winslet) va devoir se confronter au monde du travail, avant de devenir une femme d’affaires accomplie et prospère, sans que jamais l’ombre qui la poursuit ne s’évapore tout à fait : pour sa fille aînée, créature ingrate, pétrie de mépris de classe et d’arrivisme, tout cela ne sera jamais assez.
La fille de Mildred Pierce est un monstre et leurs affrontements répétés sont les vraies scènes de ménage de la minisérie – les hommes sont présents mais plus satellitaires. Cette monstruosité ne lui vient pas de nulle part, le dégoût pour sa condition d’origine lui a été transmis dans l’enfance, probablement par Mildred Pierce elle-même. Ce qui donne à l’héroïne une ambiguïté qui jamais ne s’énonce mais se voit : innombrables plans d’elle dans des miroirs, à travers des vitres, silhouette légèrement distordue. Les amateurs de Douglas Sirk ne seront pas dépaysés, cette figure de style fut pour le réalisateur de Mirage de la vie et de Tout ce que le ciel permet une des façons de circonscrire sa critique sociale.
Fréquent chez Todd Haynes (Loin du paradis était déjà une variation sirkienne), l’effet de citation peut paraître un peu appuyé au bout de plus de cinq heures de saga filmée, martelant son propos : au cours de cette décennie parcourue, l’héroïne aura eu beau s’affranchir financièrement et sexuellement, point de liberté à l’horizon.
A y regarder d’un oeil distrait, pas sûr qu’on distingue Mildred Pierce d’une saga du dimanche après-midi sauce M6 – en un peu plus lent ! Mais si on entre dans la chair des scènes, on réalise que ce qui les constitue vraiment est un réseau enchevêtré de signes où le discours est tout entier soumis à des questions sociales, des tractations, des griefs, la plupart du temps provoqués par l’argent, bref des considérations tout sauf sentimentales, souvent codées et pas entièrement déchiffrables par le spectateur.
A côté de ces scènes dramatiques, le filmage du travail est la plus grande réussite de la minisérie : l’ascension de l’héroïne, son apprentissage du métier de serveuse, la revue de détail de l’ouverture de son premier restaurant, les préparatifs en cuisine, les moyens d’étendre son affaire sont tous détaillés avec une précision passionnante. Cet art de la fausse piste allié à une maniaquerie du détail finissent par faire de Mildred Pierce une tentative pas beaucoup moins conceptuelle que les autres oeuvres du réalisateur de Superstar : The Karen Carpenter Story à I’m Not There.
Clélia Cohen
Mildred Pierce minisérie réalisée par Todd Haynes, depuis le 24 septembre sur Orange CinéMax.
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