Sur un sujet âpre, une plongée dans un centre psychiatrique fermé pour adolescents, Mental réussit à tendre vers l’universel.
Pendant beaucoup trop longtemps, les séries françaises n’ont semblé s’adresser qu’à des adultes – le malheureux paradoxe étant que la plupart d’entre elles prenaient malgré tout leurs spectateurs et spectatrices pour des gamins. Cette règle immuable et relativement déprimante du PAF est en train de doucement se modifier, dans un contexte d’émancipation qui a vu le jour depuis l’apparition des séries “bis” initiées par OCS, comme Irresponsable ou Les Grands.
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Moins longues et moins coûteuses, puisque les épisodes durent une vingtaine de minutes, ces formats s’adressent à un public différent mais aussi plus pointu. Les ados et vingtenaires d’aujourd’hui (sans oublier leurs aînés qui aiment s’égarer un peu) ont ingurgité une somme folle de séries, ce qui force celles et ceux fabriquant des récits pour eux à élever leur niveau. Faire plus avec moins de moyens, tel est le défi.
Le trash n’est pas l’option première
Mental fait partie de cette nouvelle cohorte aux fondations très singulières à l’échelle de notre pays. Il y a peu, on l’aurait appelée avec un léger mépris “web série” ou “série digitale” sans chercher beaucoup plus loin, puisqu’elle est diffusée sur la plateforme du service public, France tv slash, tout comme le phénomène teen SKAM. Mais nous sommes devant le contraire d’une fiction au rabais.
Dès l’entrée en matière se dessine l’arrivée fiévreuse de Marvin, un ado agité venu de banlieue, dans un centre psychiatrique fermé pour personnes de son âge. Là-bas, il apprend à connaître Mélodie, une instagrammeuse à la beauté dépressive, Simon, son nouveau coloc à la libido galopante et qui s’inflige des scarifications, ou encore Estelle, une schizophrène tentant de communiquer avec ce petit groupe.
Les pilules sont avalées, quelques médecins les entourent, mais nous ne sommes ni dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, ni dans un monde d’extrême souffrance et de violence. Le trash n’est pas l’option première. La maladie mentale est présente constamment mais elle n’est pas regardée de loin comme un spectacle, plutôt vue de l’intérieur, comme un ressenti.
Le choix des scénaristes Marine Maugrain-Legagneur et Victor Lockwood (deux anciens élèves de la section séries de la Fémis, la principale école de cinéma française) est celui d’une douceur de base, qui se teint au fur et à mesure de dureté, voire de tragédie. Le trajet des jeunes malades n’est pas collé à un éventuel diagnostic sur leur état.
Le collectif s’affirme, les pistes narratives se tendent
On peut regretter le manque de précision de la série sur cette question, même si l’enjeu se trouve ailleurs, dans le regard sur une période trouble, l’adolescence, à laquelle ces personnages rajoutent un autre trouble qui leur appartient spécifiquement, lié à leur histoire personnelle. La fiction décolle sur cette double détente.
Le réalisateur Slimane-Baptiste Berhoun – déjà responsable de la création LGBTQ+ de Sullivan Le Postec, Les Engagés – se donne pour mission de capter ce mal-être sans en faire trop, en tendant vers les lumières douces. Cette relative timidité, qui est aussi celle de l’écriture, peut parfois couper les ailes de Mental, surtout dans certains épisodes du milieu de saison manquant d’émotion et de rythme.
Mais quand la série commence à gratter vraiment la surface, à approfondir les maladies des un.e.s et des autres, le contraste entre la dureté de ce qui est vécu et la tranquillité du regard porté sur ces corps fonctionne à plein. L’élan des ultimes épisodes, où les soignants ont enfin la place qu’ils méritent, trace une courbe ascendante.
Le collectif s’affirme, les pistes narratives se tendent, et Mental devient beaucoup plus qu’un concours de punchlines ou qu’une leçon éducative – certes nécessaires – sur la jeunesse et les maladies mentales, pour se transformer en récit immédiatement universel sur l’impossibilité de se regarder dans un miroir sans avoir la boule au ventre.
Fraîche, parfois imparfaite et nécessaire, cette série prouve qu’il est possible de raconter autre chose que des histoires des flics à la télé française, pour saisir, même modestement, le pouls d’une génération. On s’interroge seulement sur le fait que Mental soit (comme SKAM, d’ailleurs) l’adaptation d’un concept nordique. A quand le jour où des auteur.trice.s français.e.s inventeront des histoires simples en phase avec nos désirs ?
Olivier Joyard
Mental saison 1 sur France tv slash
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