A l’image de nanars comme le téléfilm américain Sharknado, Marseille a bénéficié d’un « bad buzz » en France d’une telle intensité que la série est en passe de devenir culte. Au point où Netflix vient d’en commander une saison 2.
Le 25 mai dernier, le site parodique le Gorafi se fendait d’une brève ironique : « Netflix commande une 2e saison de Marseille ‘uniquement pour faire chier Télérama’ ». Deux semaines plus tard, la réalité a dépassé la fiction. La plateforme américaine de streaming vidéo vient de renouveler la première série qu’elle a produite en France. Netflix explique à Télé-Loisirs que Marseille aurait reçu un « bel accueil » à l’étranger — notamment au Brésil et en Russie —.
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En France pourtant, la série qui met en scène Gérard Depardieu (maire de Marseille) et son « poulain » Benoît Magimel s’est faite étriller par la critique. Sur le site de l’Association des critiques de séries (dont plusieurs journalistes des Inrockuptibles font partie), la revue de presse est accablante : « Le résultat, loin d’être la claque espérée (…) est une débandade artistique, un raté industriel pour Netflix, sans doute son premier navet ‘maison‘ » , assène Télérama, tandis que le Figaro parle du « plus gros rendez-vous manqué de 2016. »
Et pourtant, Marseille a fait le buzz dans l’hexagone. Au point où il devient légitime de se demander si Netflix n’a pas réussi un gros coup, en transformant une piètre série en objet de culte beauf que l’on prend plaisir à regarder pour s’en moquer.
L’effet « c’est tellement nul que c’est bien »
A l’époque de la sortie du téléfilm américain Sharknado en 2013, les critiques s’étaient régalés de ce nanar devenu incontournable. « C’est le principe du film : s’éclater à le commenter à la maison devant sa télé », a très bien analysé la journaliste du LA Times Mary McNamara. « Et accompagner ça de la consommation de nombreuses boissons alcoolisées. » Que celui qui n’a jamais cédé au plaisir de regarder un programme affligeant jette le premier pop-corn. Résultat: sur le site d’agrégation de critiques Rotten Tomatoes, Sharknado affiche fièrement un 82% de commentaires positifs et un résumé clairvoyant : « Sans honte et écervelé, Sharknado redéfinit le concept de ‘c’est tellement nul que c’est bien’ pour toute une nouvelle génération. »
Marseille peut-elle entrer dans cette catégorie? Avant même que la série n’ait été mise en ligne sur la plateforme de vidéo en streaming le 5 mai 2016, la rumeur de l’accident industriel courait dans le milieu des séries françaises. Puis les journalistes — tenus par un embargo jusqu’au 22 avril — ont publié leurs premières critiques, et le « bad buzz » a commencé à se répandre sur les réseaux sociaux. Au point où même la communication de Netflix France s’est fendue d’un tweet au second degré pour rappeler qu’il valait « parfois mieux prendre de la hauteur. »
A Marseille, il vaut parfois mieux prendre de la hauteur. Pour l’équipe de #MarseilleNetflix aussi ! pic.twitter.com/hSl6uUwmL8
— Netflix France (@NetflixFR) May 4, 2016
Une fois la série mise en ligne, les premiers internautes ont immédiatement commencé à publier des captures d’écran de scènes de la série pour s’en moquer. Le 8 mai, un internaute a lancé le Tumblr « Marseille la série » dans lequel il a réuni des scènes et dialogues les plus improbables du programme. Vulgarité à outrance, scènes de sexe gratuites, punchlines machistes à tout-va : le site est un recueil de toutes les critiques que l’on peut formuler à l’égard du programme, la forme humoristique en plus.
« La fascination du pire »
Devant un tel déferlement de critiques, certains internautes français se sont mis à s’intéresser à la série, qui n’aurait peut-être pas retenu autant leur attention.
Marseille Netflix – Curated tweets by TurcanMarie
« Marseille, c’est l’exemple parfait de ce qu’on appelle ‘la fascination du pire' », analyse Renan Cros, journaliste et enseignant en cinéma et séries à l’Esec et Paris VII, et qui a notamment abordé le « cas Marseille » avec ses élèves.
« C’est l’accident sur le bord de la route qui fait ralentir les automobilistes qui « veulent voir ». Les gens ont voulus voir par eux-même, constater les dégâts, être témoins du ratage pour à leur tour pouvoir dire ‘c’est vraiment nul’. »
Netflix avait pourtant un atout dans sa manche pour désamorcer certains reproches. Le 19 avril 2016, la plateforme américaine et TF1 avaient publié un communiqué pour annoncer que la chaîne privée allait diffuser les deux premiers épisodes de Marseille — une première mondiale pour Netflix, qui n’avait jamais passé ce genre d’accord — le 12 mai 2016. En bénéficiant de la réputation « grand public » de TF1, Netflix avait ainsi fait comprendre que Marseille serait une série plus mainstream qu’annoncée, peut-être moins audacieuse qu’une House of Cards ou une Boss (série politique sombre et ambitieuse diffusée sur Starz).
La force du hate-watching
En revanche, la plateforme n’a pas pu surfer sur l’opposition « critiques élitistes négatives » contre « avis des téléspectateurs ». Les deux premiers épisodes diffusés n’ont en effet rassemblé que 4,4 millions de téléspectateurs, un score très moyen pour une série diffusée à 20h50 sur la chaîne française (à titre de comparaison, la série française Profilages atteint régulièrement les 7 millions)
Reste donc le « hate-watching », cette notion qui veut que l’on prenne du plaisir à regarder un programme que l’on déteste. Puis en parler avec ses amis sur les réseaux sociaux. Puis en faire des Tumblr. Ainsi que des stories Snapchat (les Inrocks plaident coupables).
« Marseille est, je crois, le premier cas de série basée à ce point sur le hate-watching », conclut Renan Cros.
« Mais ça dit aussi vraiment quelque chose du public d’aujourd’hui. La qualité d’une oeuvre n’est finalement plus vraiment essentielle. Ce qu’elle dit d’elle même, ce qu’elle démontre de son mode de productions et des erreurs commises est presque plus intéressant. (…) Il y a un goût assez morbide à voir la pop culture s’effondrer sur elle-même, ne pas tout réussir. »
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