Après avoir officié six ans dans Parks and Recreation le comique Aziz Ansari a écrit et produit sa première série, Master of None, mise en ligne sur Netflix le 6 novembre. Furieusement contemporaine, elle dépeint les aventures d’un acteur trentenaire, optimiste bien qu’atteint par la maladie du siècle ; la peur de toujours manquer quelque chose, dite « Fomo ».
« On peut se comporter comme des salauds, et c’est un fait accepté par les gens ! C’est une des raisons les plus chouette d’être en vie aujourd’hui ! »
Dans le troisième épisode de Master of None, Aziz Ansari passe trente minutes à se prendre la tête pour une histoire de rencard. Il a deux places pour un concert privé, il invite une serveuse qui lui plaît, elle accepte sur le principe puis ne répond plus à ses SMS. Il attend de ses nouvelles pendant deux jours, elle annule 24h avant le show. Il hésite à envoyer un message à trois filles différentes pour leur proposer de l’accompagner, de peur que plusieurs acceptent.
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Entrent alors en jeu les conseils de ses amis: si la serveuse a été dégueulasse avec lui, il peut l’être avec les autres. Elles ne sont que des « bulles dans un téléphones », après tout. Il résiste un temps, puis accepte.
Les faits sont d’une banalité confondante pour qui s’est déjà essayé à la drague version 2015, et pourtant ils n’ont jamais été montrés avec autant de justesse et de simplicité. Si en France, l’art du « dating » n’est pas aussi codifié qu’outre-Atlantique, on ne peut qu’être touché par l’universalité du sujet abordé. Dans Master of None, Dev – le personnage joué par Aziz Ansari, qui n’a pas vraiment cherché à se camoufler derrière cet aspirant acteur tout juste moins connu que lui – est atteint de la maladie du siècle. On l’appelle Fomo, ou « fear of missing out« . Cette peur de passer à côté de quelque chose de « mieux » régit l’entièreté de ses interactions sociales, de la décision d’aller dans un bar plutôt qu’un autre à celle d’envisager de « se poser » et imaginer passer le reste de sa vie avec sa petite-amie.
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Lena Dunham a beau se vanter d’être « la voix d’une génération » dans Girls, Aziz Ansari signe avec Master of None la série la plus contemporaine de ces cinq dernières années. On lui trouve des airs de Louie, l’absurde en moins, dans sa manière de raconter le quotidien avec franchise et simplicité, et pour les errements du protagoniste dans la ville de New York qui semble avoir été peinte aux couleurs de l’automne.
Paradoxalement, la série tacle un nombre incroyable de « maux » de son temps : sexisme, individualisme, racisme ordinaire, difficulté de vieillir… Mais elle le fait avec une bienveillance salvatrice, celle de scénaristes qui aiment profondément leur époque et qui font tout pour ne pas donner dans le « c’était mieux avant ».
A cheval sur plusieurs cultures
Preuve que le passé n’est pas à regretter, le quatrième épisode débute par un montage surréaliste des rôles stéréotypés d’Indiens à la télé américaine, de Apu des Simpson à l’assistant Ben Jabituya dans Short Circuit (1986), joué par Fisher Stevens, un acteur blanc maquillé. « Ils ont pris un vrai robot et un faux Indien ! » assène Dev. Lui-même refuse d’emprunter un faux accent pendant les auditions, ce qui lui vaut d’essuyer de nombreux refus.
C’est un combat intérieur que l’on retrouve en filigrane tout au long de la saison ; Dev est né aux Etats-Unis, mais ses parents (interprétés par les vrais parents d’Ansari) ont émigré depuis l’Inde. Il vit ainsi constamment à cheval entre ses origines, la culture de sa famille – qu’il imagine plus traditionnelle qu’elle n’est – et son intégration dans un pays dans lequel sa couleur de peau est parfois encore vue comme un problème.
Des personnages féminins incroyables
Il y a six ans, on découvrait Aziz Ansari dans Parks and Recreation, série comique inédite en France jusqu’en 2015, où il interprétait un trublion au grand cœur hyper-connecté et fan de pop culture. Comique dans l’âme, l’acteur a enchaîné en même temps trois one-man-show en cinq ans, dans lesquels on trouvait déjà ses thèmes de prédilection. La découverte du sexisme ordinaire en fait partie ; il la met d’ailleurs en scène dans un septième épisode intitulé Ladies and gentlemen, dans lequel son personnage se rend compte des différences de traitements accordés aux femmes et aux hommes.
Master of None ne fait pas que prêcher la bonne parole ; elle met elle-même en scène des personnages féminins incroyables, de la meilleure amie lesbienne de Dev, Denise (Lena Waithe) à l’improbable Claire Danes (Homeland) venue jouer la femme mariée blasée qui cherche à tromper l’ennui et son mari le temps d’un épisode. Sans oublier Rachel (Noël Wells, brièvement passée dans le Saturday Night Live), romantic-interest géniale du héros tout au long de la saison, qui évolue à ses côtés en restant aussi drôle qu’indépendante. Une recette gagnante.
Marie Turcan
Master of None, saison 1, les 10 épisodes sur Netflix
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