La comédie Master of None impose sa douceur et sa pertinence au fil d’une première saison presque parfaite. Son interprète et créateur new-yorkais, Aziz Ansari, vient du stand-up.
Master of None est arrivée sur la pointe des pieds, comme une bonne nouvelle qu’on n’attendait pas. Son effet immédiat consiste à relancer les dés dans le monde déjà effervescent de la comédie d’auteur. Depuis Curb Your Enthusiasm (apparue en 2000) et surtout Louie (première saison en 2010), la forme historique de la sitcom a perdu le leadership – en tous les cas de notre point de vue. Une approche ouvertement intime de la comédie, intensément personnelle, parfois cousine de l’autofiction en littérature, s’est affirmée grâce à une poignée de personnalités hors norme.
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Dans cette série au format 26 minutes mise en ligne sur Netflix, Aziz Ansari raconte, comme ses concurrents et néanmoins amis Louis CK ou Amy Schumer, une version revue et corrigée de sa propre vie. Ce trentenaire new-yorkais pas encore installé dans la routine inspecte deux frontières de son existence : celle de l’engagement – faut-il aimer longtemps ? – et celle de la lutte pour ses valeurs – comment rester un garçon courtois, drôle et empathique dans ce monde-là ?
Une blague toutes les trois secondes
Issu d’une famille d’immigrés indiens tamouls, Aziz (dont le personnage se nomme Dev) fait jouer ses propres parents dans certains épisodes et dévoile un entourage souple et bienveillant. Ses meilleurs amis ? Un grand gaillard blanc prêt à balancer une blague toutes les trois secondes et une hipster noire et lesbienne à casquette. Avec eux, il écume les bars de Big Apple et se permet de les abandonner quand il trouve une copine.
Dans la réalité, Ansari est un comique reconnu depuis plusieurs années, star du stand-up et ex-second rôle dans Parks and Recreation. Il se met en scène ici en tant qu’acteur lambda, écumant les tournages de pubs et éventuellement les blockbusters gênants à base de virus apocalyptique. Si Aziz/Dev effectue ce petit pas de côté par rapport à son identité, c’est pour mieux accompagner le mouvement profond qui structure Master of None : montrer ce qu’être un autre veut dire. La plupart des dix épisodes de cette première saison lumineuse sont autant de microballets sociaux, affectifs et théoriques en quête d’altérité.
Fractures générationnelles
Ansari épouse tous les points de vue, ceux qui semblent le concerner comme d’autres qu’il fait siens. Dans les épisodes 2 et 4, il est question des fractures générationnelles au sein des populations immigrées et des stéréotypes que celles-ci subissent dans la façon dont elles sont représentées – quand refuser de jouer un lourd accent indien représente toujours un risque en télé et au cinéma.
Dans le huitième épisode, c’est la vieillesse oubliée qui le préoccupe. Dans le septième chapitre, magistral, Dev comprend à quel point, y compris dans une société censément progressiste, les rapports entre hommes et femmes restent nourris de flagrantes inégalités. Sans aucune brutalité, avec son entrain et son sourire, Aziz Ansari soulève la poussière sous le tapis.
L’envie de glorifier la gêne ne sont pas pour lui
L’énergumène invente également un ton, une forme, une manière de considérer chaque épisode comme une petite capsule narrative, souvent une déambulation dans la ville-terrain de jeu. Au gré des rencontres et sous ses airs de ne pas y toucher, Ansari reprend des motifs comiques vus ailleurs pour les rectifier à son goût, comme on rectifierait un assaisonnement : une simple scène dans un café, où un client lui passe devant sans se soucier de sa présence, montre tout ce qui le sépare de Louis CK et Larry David – la misanthropie, l’envie de glorifier la gêne ne sont pas pour lui.
Enfin, puisque la comédie s’arrime toujours à un corps, il met en jeu le sien, petit (1 m 68), plutôt fluet, burlesque par moments, toujours désirant. Quoi, vous n’êtes pas déjà en train de regarder ?
Master of None saison 1. Sur Netflix
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