Avant la sortie en avril d’une série sur Benjamin Franklin, Apple TV+ se penche sur un autre événement fondateur de l’histoire américaine : l’assassinat (puis la traque du tueur) d’Abraham Lincoln…
Épisode traumatique de l’histoire des États-Unis toujours profondément ancré dans la psyché nationale, l’assassinat d’Abraham Lincoln, le 14 avril 1865 dans un théâtre de Washington, a fait l’objet de nombreuses représentations au cinéma. Dès 1915 (soit à peine cinquante ans après les faits) D.W. Griffith le reconstituait dans sa Naissance d’une nation. En 1936, John Ford en livrait sa version dans Je n’ai pas tué Lincoln. Plus malicieux, Spielberg clôturait son Lincoln (2012) sur une scène montrant le président dans un théâtre, mais quelques jours avant son assassinat, déjouant les attentes avec un brin d’espièglerie.
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Entre la restitution factuelle et la série d’espionnage
Pas de malice dans Manhunt, mini-série sous pavillon AppleTV+, qui reconstitue factuellement l’assassinat dès son premier épisode, pour en sonder l’écho retentissant dans les sept suivants. Car c’est moins l’assassinat lui-même ou sa préparation chaotique qui intéresse la série, que la traque de l’assassin dans un pays déchiré, se reconstruisant sur les braises encore fumantes d’une guerre civile meurtrière.
Mêlant fiction historique et série d’espionnage, Manhunt piste la cavale de John Wilkes Booth (Anthony Boyle), acteur de théâtre acquis à la cause sudiste, qui, cinq jours après la reddition du général Lee et des armées confédérées – qui mit un terme à la guerre de Sécession – assassina Abraham Lincoln d’une balle de revolver dans la tête, avant de filer vers le sud au triple galop. En parallèle, on suit la traque qu’organise Andrew Stanton (Tobias Menzies), secrétaire d’État à la guerre et proche de feu le Président, pour retrouver Booth, et mettre un terme à la conspiration confédérée qui menace de troubler une paix à peine acquise, et déjà chétive. En toile de fond : des États tout juste unis, mais encore profondément fracturés, et une reconstruction qui a tout d’une gageure.
Un goût aride en bouche
Créée par Monica Beletsky, scénariste et productrice à l’impressionnant CV (elle a notamment oeuvré sur Friday Night Lights, The Leftovers et Fargo), Manhunt bénéficie d’une écriture précise et d’une mise en scène racée, et parvient avec habileté à faire communiquer la petite histoire (la traque de l’assassin) avec la grande (la radiographie d’un pays bicéphale, en pleine confusion politique).
Un projet qui s’assortit d’une certaine aridité (peu de personnages y sont vraiment aimables, et on ne se marre pas beaucoup) et d’un ton par endroits exagérément solennel, comme dévitalisé, mais qui diffuse incidemment un spleen vaporeux, curieusement hypnotique. Sur la côte Est invariablement grisâtre d’un pays déboussolé, on suit sur fond de violons lancinants (la musique, superbe, est composée par Bryce Dessner, membre de The National) une galerie de personnages usés par la guerre, et pris dans les entrelacs fangeux de l’histoire.
À cet égard, la série peut rappeler L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford d’Andrew Dominik, avec lequel elle partage une mélancolie diffuse, et cette manière cafardeuse et élégiaque de chroniquer l’histoire américaine à rebours de ses mythes fondateurs contrefaits.
Sorte d’eastern mélancolique doublé d’une fable politique aride, Manhunt est une série classieuse à laquelle il manque peut-être un peu de chair, et certainement un peu d’âme. Sa dissection méticuleuse des États-Unis au sortir de la guerre civile jette néanmoins un éclairage ténébreux sur l’actualité d’un pays de plus en plus déchiré, dont la fracture semble congénitale.
Manhunt de Monica Beletsky, avec Tobias Menzies, Anthony Boyle, Lovie Simone… disponible le 15 mars sur Apple TV+.
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