Malgré les mastodontes Game of Thrones ou Homeland qui lui font de l’ombre, la sixième saison de Mad Men, qui s’est ouverte lundi 7 avril, reste très attendue. On y retrouve un Don Draper traînant son spleen, à la fin des années 60.
L’affaire paraît entendue. Depuis au moins deux saisons, Mad Men n’a plus tout à fait la même aura. La série télé majeure de la fin des années 2000 reste l’une des plus observées, mais Games of Thrones, The Walking Dead et Homeland lui ont chipé le statut de phénomène. Cette dernière l’a même devancée lors des Emmy Awards puis des Golden Globes, mettant fin à sa domination symbolique à Hollywood. D’un certain point de vue, les vrais fans n’ont pas à se plaindre de ce relatif désamour. Ils sont plus tranquilles, à l’écart du bruit, enfin seuls face aux images. Ces derniers mois, Matthew Weiner, le bouillant et brillant créateur de la série, a juré qu’il se moquait éperdument des commentaires et péripéties extérieurs, pour se concentrer sur l’entrée de Mad Men dans sa dernière ligne droite. Selon certaines rumeurs alimentées par le scénariste lui-même, Don Draper prendra sa retraite après sept saisons, huit à la rigueur. Dans peu de temps, le couperet tombera.
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L’enfer de Don
En attendant cet instant fatidique, le retour du beau gosse troublé et de ses amis publicitaires alcoolisés a eu lieu dimanche soir, sur la chaine américaine AMC, avec le premier épisode double (1h20 au compteur) de la sixième saison. Les grincheux, qui regrettaient que leur personnage mélancolique préféré aie tenté de goûter au bonheur lors de la saison précédente, ne pourront pas reconduire leurs plaintes cette année. Cet épisode inaugural est capable de faire flipper même les plus optimistes et d’injecter aux âme fragiles une sacrée dose d’inquiétude. Adoptant le point de vue d’un homme en train de mourir, la toute première séquence annonce la couleur de Mad Men saison six. Noir, c’est noir. On retrouve bientôt Don Draper sur une plage paradisiaque de Hawaï, mais en pleine lecture de L’Enfer de Dante.
Qui es-tu, Don Draper ? Usurpateur, victime, séducteur, génie, homme sans qualités ? La question soulevée élégamment par la série depuis ses débuts reste d’actualité. La réponse définitive est encore à venir, lente, tortueuse, incertaine. Le dernier dialogue de la saison précédente demandait à mister Draper : « Etes-vous seul ? » Avec ces retrouvailles pleines de spleen, les plans de dos emblématiques du héros déchiré prennent tout leur sens. Bien sûr qu’il est seul. Alors qu’une nouvelle année approche, (1968, déjà) nous suivons Don dans ses activités. Mais quelque chose nous retient de croire à ce que l’on voit. Lui même ne semble plus vraiment croire à la réalité de sa vie.
L’ouverture de sept minutes sans une parole de sa part (sauf en voix-off) ressemble à un cauchemar éveillé sous le soleil. À ce moment précis, Mad Men flirte avec le fantastique. Sa copine reste à ses côtés, mais elle sourit dans le vide. Pendant le reste de l’épisode, Don Draper rase les murs, avec son beau visage las, cousin d’Alain Delon chez Antonioni. Si Matthew Weiner voulait faire de son personnage clef un spectre, il n’aurait pas pu s’y prendre autrement. Le clou du spectacle ? Sûr d’avoir réussi une publicité irrésistible pour un hôtel de luxe, Don doit revoir sa copie : tout le monde sauf lui se rend compte qu’il a mis en scène métaphoriquement un homme en train de se suicider.
“On n’aime pas votre vie, pas plus que vous ne l’aimez”
Ce recentrage radical vers la tristesse et les sentiments lourds (l’épisode comprend aussi une veillée funèbre – n’en jetez plus) est d’autant plus intéressant que Mad Men n’a pas renoncé à son identité glamour. Mais le mode de vie opulent des personnages que nous connaissons depuis si longtemps est désormais en total décalage avec leur époque, presque obsolète. Alors qu’elle a débuté en 1959 et traversé des événements comme la mort de Kennedy, Mad Men navigue désormais en pleine période de hippie. La guerre du Vietnam prend de l’ampleur, Martin Luther King n’a plus que quelques mois à vivre, Easy Rider et la fin des illusions arrivent à grands pas. Don, son ex-femme Betty et Roger Sterling apparaissent comme les dinosaures vieillissants d’un âge révolu. « On n’aime pas votre vie, pas plus que vous ne l’aimez », lance un jeune squatteur à une Betty stupéfaite. Même la splendide Megan, moitié de Don depuis la saison dernière, semble avoir atteint la date de péremption depuis qu’elle est la star d’un soap opera et s’en contente.
Avant, Mad Men racontait l’histoire de gagnants qui ne pouvaient s’empêcher d’embrasser la mélancolie. Désormais, ses personnages sont embourbés, certains dans leurs illusions de grandeur, d’autres, comme Don, dans leur trop grande lucidité. On les plaint. On a évidemment envie de voir la suite.
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