En invoquant l’univers de Lovecraft dans l’Amérique des années 1950, Lovecraft Country approche les souffrances de la communauté afro-américaine par le biais du fantastique.
Du cinéma d’horreur aux jeux vidéo en passant par la bande dessinée, chacun·e d’entre nous a été un jour confronté·e à l’imaginaire d’H. P. Lovecraft, ou plutôt à ses visions digérées par un siècle de culture populaire. Si des artistes aussi différents que Stephen King ou HR Giger reconnaissent l’influence du « panthéon noir » de l’auteur du Mythe de Cthulhu, difficile aujourd’hui de faire l’impasse sur la pensée profondément misanthrope et ethniciste qui le sous-tend. Chez Lovecraft, la monstruosité germe souvent au sein des corps étrangers au fantasme de l’Amérique Wasp, menaçant de la contaminer comme un virus.
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A l’heure où le pays se mobilise contre le racisme systémique envers sa population noire et que la séparation entre l’homme et l’artiste fait l’objet d’une remise en question salutaire, la transposition à l’écran de la cosmogonie lovecraftienne constituait un pari risqué. Coproduite par J. J. Abrams et Jordan Peele, la série de Misha Green en transforme les écueils en forces par un triple pas de côté.
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Une charge politique parfois affaiblie
Le premier réside dans le choix d’adapter non pas un texte signé par l’auteur mais le roman Lovecraft Country de Matt Ruff, qui en projetait les obsessions dans l’Amérique ségrégationniste des années 1950. Fraîchement débarqué de l’armée, Atticus Black part à la recherche de son père disparu avec son amie Letitia et son oncle George. Leur périple les confrontera à des créatures fantastiques issues du bestiaire lovecraftien, mais aussi à des monstres bien réels – voisins violents, flics racistes et suprémacistes blancs.
Le second s’effectue sur le terrain de la représentation. En mettant en scène un casting essentiellement afro-américain et en plaçant l’expérience de cette communauté au cœur de sa mécanique narrative, la série s’inscrit dans le mouvement fictionnel contemporain visant à reconstruire une histoire des minorités en la tressant à des mythologies fantastiques, reliant l’excellente Watchmen aux plus dispensables Penny Dreadful: City of Angels ou The Terror : Infamy.
Le troisième consiste à renverser le partage lovecraftien de la monstruosité pour la projeter dans le corps dominant, celui d’une Amérique blanche désireuse d’écraser le corps noir quand elle ne peut pas l’ingurgiter. Majoritairement située en Nouvelle-Angleterre, théâtre de la plupart des récits de l’auteur, l’action superpose une topographie imaginaire à une géographie réelle pour remonter aux racines de l’horreur américaine, qu’elle soit fictionnelle (fantômes, vampires et maléfices) ou historique (esclavage, ségrégation et racisme).
C’est sur sa forme que Lovecraft Country convainc un peu moins, lorsqu’elle saupoudre ses péripéties de tubes anachroniques et de touches comiques hétérogènes, ou qu’elle s’abandonne à des élans gore ou grand-guignol flirtant avec la série B. Couplée à des rouages scénaristiques parfois artificiels, cette désinvolture entame la charge politique de l’ouvrage, qu’on attendait plus cohérent et aiguisé.
Lovecraft Country sur OCS
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