Produite par Netflix, cette minisérie documentaire retrace avec force la chute d’Hunter Moore, fondateur d’un site américain consacré au “revenge porn”.
C’était seulement il y a une décennie. Pourtant, le sentiment domine face à L’homme le plus détesté d’Internet de regarder une archive, la violente capsule temporelle d’une époque irrémédiablement lointaine, même si ses relents nous atteignent toujours. C’était bien nous, en tant que société, qui avons accepté ces trucs dégueulasses, cette foire délirante à la cruauté en ligne ? Apparemment, oui. Et il suffit d’ouvrir les yeux : ce n’est certainement pas fini, Twitter et les autres réseaux le prouvent chaque jour, même si quelques garde-fous ont été érigés depuis. Sans doute grâce à une femme qui a tenu tête à ce système.
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Cette minisérie documentaire en trois épisodes raconte la manière dont une mère de famille, Charlotte Laws, est parvenue à faire tomber Hunter Moore, le fondateur d’un site Internet principalement consacré au “revenge porn” (nudes d’ex-petites amies envoyés principalement par des exs), mis en ligne pendant 16 mois au début de la décennie 2010. Le récit d’une pionnière, donc, qui a enquêté quasiment seule, criant dans le désert avant d’attirer l’attention du FBI grâce à la qualité de ses informations. Au départ, sa fille Kayla est prévenue par des ami·es que des photos d’elle nue circulent sur le site “Is Anyone Up”. Elle n’avait envoyé les selfies pris dans sa chambre à personne, simplement transmis les fichiers sur son propre email pour des questions de place sur son téléphone. Clairement, la jeune femme a été hackée, son email piraté. Un crime fédéral aux États-Unis. Une violation de la vie privée organisée par un homme de 25 ans.
Hunter Moore présent en filigrane
Si le documentaire utilise les ficelles habituelles des productions Netflix – en gros, du Faites entrer l’accusé avec plus d’argent, images d’archives et reconstitutions à l’appui -, L’Homme le plus détesté d’Internet intéresse par sa capacité à faire exister le personnage central de l’affaire (qui a refusé d’apparaître) sans pour autant le glorifier bêtement. Ce prototype du Californien blanc et bourgeois, né dans la vallée de Los Angeles en 1986, a incarné une époque où certain·es qualifiaient le web de Far West. Il s’est lui-même désigné comme un “ruineur de vies professionnel”. En plus des images amateures dénudées, parfois envoyées anonymement, parfois piratées, il dévoilait les comptes Facebook et tous les réseaux sociaux des victimes, donnait leur nom et encourageait les commentaires haineux, accusant bien sûr les victimes d’être responsable de leur sort. “Dans ce Far West, on pouvait cracher son venin sur des gens qu’on ne connaissait pas, sans aucune répercussion, explique un intervenant (…). Hunter a montré qu’il était possible de réussir en se comportant comme un vrai sociopathe en ligne”.
Des milliers de personnes ont ainsi vu leurs images intimes dévoilées, pour la plupart des femmes, même si on trouve dans le lot quelques mecs, dont l’un est interviewé dans le documentaire et ne se remet toujours pas de la brutalité de ce moment de sa vie. L’homme le plus détesté d’Internet dévoile un véritable système de harcèlement organisé par Hunter Moore lui-même, couplé à un certain culte de la personnalité. Ce garçon possédait une aura, apparaissait en boîte pour des fêtes défoncées, dans des émissions comme celle d’Anderson Cooper sur CNN, s’exprimait de la manière la plus irrespectueuse qui soit et déclenchait des comportements extrêmes. Des gens se frappaient pour lui, se mettaient le feu au cul – littéralement. Une femme, surnommée “butthole girl” et qui témoigne courageusement dans le documentaire, s’insérait des objets dans l’anus sous ses ordres, avant qu’il ne poste le résultat. Les exemples montrés ici sont tous plus sidérants les uns que les autres.
Une alliance pour faire fermer le site
Au fond, Is Anyone Up ressemblait moins à un site pornographique – à ce moment-là, You Porn était l’un des sites les plus visités au monde – qu’à un défouloir géant aux limites impossibles à définir. Au même moment, en France, la Ligue du Lol faisait son apparition, avec son lot d’insultes et d’humiliations dirigées nommément contre des personnes fragiles. Ici, nous sommes à un autre niveau. Moore recevait chaque jour des demandes, voire des suppliques pour supprimer des images de son site. Il refusait ou ne répondait pas, sauf dans des cas exceptionnels comme celui de Kayla Laws, qui a réussi à faire retirer ses images sous la menace d’un avocat. Mais la plupart des victimes sont restées seules avec leur honte. Le documentaire donne la parole à certaines d’entre elles, même si son sujet est moins de réparer une injustice – il y a eu un procès, Moore a été condamné – que de montrer en creux comment l’usage d’Internet est une bataille constante pour le rendre habitable. Pour faire tomber Moore, il a fallu non seulement la persévérance de Charlotte Laws, les articles de plusieurs journalistes du Village Voice et de Rolling Stone, l’enquête du FBI, mais aussi l’intervention décisive des hackers d’Anonymous, qui ont fermé le site et effacé ses données en deux temps, trois mouvements. Le genre d’alliance improbable dont notre époque est capable.
L’Homme le plus détesté d’Internet. Sur Netflix.
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