Des “Simpson” à “South Park” en passant par “BoJack Horseman”, “American Dad” ou “Rick & Morty”, les séries animées dites « pour adultes » offrent-elles toutes le même genre d’humour, et touchent-elles toutes le même public ?
Le 26 juillet prochain, ils seront enfin de retour. Morty et son grand-père Rick embarqueront à nouveau à bord de curieux vaisseaux spatiaux, se perdront à nouveau sur des planètes déglinguées, dans des réalités alternatives démentielles. La première saison de Rick and Morty (sur la chaîne Adult Swim) a débuté en décembre 2013. Onze épisodes beaucoup trop courts (compter moins de 5 heures pour regarder toute la saison) qui empruntent la forme de ce qu’on appelle des “dessins animés pour adultes”, bien que la notion soit vague.
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https://www.youtube.com/watch?v=e0QKhnJ46YQ
Pour preuve : voilà dix-huit ans qu’à chaque rentrée de septembre, des petits écoliers arborent des nouvelles trousses ou des sac à dos floqués South Park, alors même que la série est clairement orientée “15 ans et plus”, avec ses blagues scato, ses répliques vaseuses mais aussi ses références pointues à la politique et pop culture américaines. Est-ce incohérent pour autant ? Pas vraiment. Une grande partie des « séries animées comiques pour adultes » comme South Park peuvent en fait être regardées à tout âge, à des niveaux de compréhension variables. Un internaute l’avait brillamment souligné en créant un montage très drôle sur les Simpson, la référence en la matière, qui a fêté ses 25 ans d’existence le 16 décembre 2014.
« On dit qu’on peut regarder les Simpson de 5 manières différentes en fonction des étapes de votre vie, affirme-t-il, en tant qu’enfant, pour les belles lumières et les jolies couleurs du dessin animé. En étant écolier, pour les bouffonneries espiègles de Bart Simpson. A l’université, pour ses références culturelles. A l’âge adulte, pour son observation de la vie de famille et les problèmes de couples. Et en étant vieux, pour les belles lumières et les jolies couleurs du dessin animé. »
D’un point de vue strictement corporate, ces séries seraient ainsi les « programmes familiaux » par excellence, capables de rassembler tous les membres d’un foyer autour du poste. Il est pourtant difficile de trouver moins fédérateur que des séries comme South Park ou American Dad. Ces programmes provoquent des réactions très fortes ; le téléspectateur accroche tout de suite à l’ambiance et à l’humour ou s’en désintéresse complètement.
Des programmes sur des familles mais pas du tout familiaux
Plus surprenant encore : apprécier une de ces comédies ne veut absolument pas dire que l’on appréciera sa petite sœur. On ne compte plus les amateurs de Futurama qui se désintéressent des Simpson (Matt Groening a créé les deux), ou les fans d’American Dad qui n’arrivent pas à accrocher avec Family Guy (Les Griffin), qui ont pourtant toutes deux Seth MacFarlane pour papa.
L’adage qui veut que l’humour soit « segmentant » est ainsi souvent vérifié par ces séries animées, qui ont chacune des ressorts comiques bien spécifiques. Le premier épisode de la saison 26 des Simpson appelé The Simpson Guy en est un exemple criant. Il est un crossover (un croisement entre deux séries) de 44 minutes dans lequel la famille de Springfield rencontre celle de Family Guy.
L’occasion pour les deux « enfants » de chaque tribu de s’adonner au plaisir de piéger leur prochain. Bart le chenapan propose de téléphoner au barman Moe, sa cible favorite. Il l’appelle, lui fait une des blagues potaches dont il a le secret (Bart: « I’m looking for a friend, last name Keebum, first name Lee. » Moe: « Hey guys, do I have a Lee Keebum ? A leaky bum? [un anus qui fuit – ndlr] Anyone?« ). Stewie prend alors le relais et veut également tenter un canular téléphonique. Quand Moe décroche il dit alors : « Ta sœur est en train de se faire violer » et raccroche en gloussant, avant de demander à Bart si « ça compte comme un bon gag. »
Un fossé peut séparer deux séries animées
La scène est révélatrice du fossé comique qui sépare les deux séries animées. « Family Guy injecte de la cruauté dans Les Simpson dans un épisode horrible« , titrait dès le lendemain de la diffusion le site FlavorWire.
Pour l’auteur, les deux univers comiques sont tellement distants qu’ils ne pouvaient se marier correctement. A l’inverse, on peut estimer qu’en jouant sur ce décalage, les auteurs ont réussi à tourner en dérision le fossé qui les séparaient, tout en s’amusant à tacler Family Guy (créée en 1999) sur le fait qu’elle n’aurait probablement pas existé sans le chemin pavé par Les Simpson dix ans plus tôt (1989).
Les Simpson ont toujours été à la pointe de l’humour mordant, qui s’attaque franchement à la bêtise humaine en y rajoutant une bonne couche d’absurdité. Ses héritières plus putassières Family Guy et American Dad ont ensuite récupéré ce mélange de scènes de vie de famille et de déracinement des personnages lorsque ceux-ci s’adonnent à des escapades en dehors du foyer (école, travail, voyage, ballade en forêt, vacances, etc.).
Du détachement au fort engagement politique
South Park est venu se greffer sur le concept en le remaniant à la sauce très particulière de Trey Parker et Matt Stone. Le cartoon n’est pas « dessiné » mais consiste à animer en stop-motion des dessins en papier découpés. Sur le fond, on retrouve la dose d’absurde inhérente à beaucoup de séries comique animées, une bonne dose d’intertextualité en plus (références aux autres objets culturels) et d’attaques frontales contre des personnalités réelles (parmi les cibles préférées du programme: Tom Cruise, Mel Gibson, Madonna, Kanye West, Miley Cyrus, Oprah Winfrey, Al Gore, Michael Jackson). Le citoyen américains en prennent aussi pour leur grade, dépeints à travers les « parents » parfaitement idiots (Randy et Sharon Marsh, Gerald et Sheila Broflovski, Mr(s) Garrison, etc.).
Aussi, si l’écolier lambda fan des quatre enfants appréciera les vannes un peu crades, le public visé est définitivement l’adulte ouvert sur le monde, qu’il soit anti-Bush ou anti-Obama, contre la fracturation hydraulique ou pour les droits des personnes trans.
A l’inverse, la nouvelles série animée Rick and Morty est complètement détachée de ces engagements politiques. Elle est portée par Dan Harmon, le créateur fou furieux de Community (série meta par excellence annulée par NBC puis reprise par Yahoo!) qui trouve dans le dessin une nouvelle manière de délirer sans être limité par le jeu des acteurs ou les contraintes de tournage et de décor. Avec Rick and Morty, on saute de dimensions en dimensions, de réalités alternatives en réalités alternatives, le tout porté par l’opposition radicale entre un adorable petit garçon curieux de tout et son grand-père je-m’en-foutiste prêt à l’abandonner aux mains d’extraterrestres sanguinaires pour sauver sa peau.
Le comique prend sa source dans la mise en scène de cette relation que l’on attend touchante et qui finit toujours par être horriblement cynique. Difficile de ne pas faire le lien avec Roger, l’alien fou qu’héberge la famille Smith dans American Dad! et qui n’a aucun scrupule à sacrifier le beau-fils Jeff lorsque des extraterrestres viennent le kidnapper.
BoJack Horseman bouscule les codes
Nouveau petit ovni dans ce paysage très codifié, le BoJack Horseman de Netflix a réussi à emporter l’adhésion quasi unilatérale de la critique. Il vient pourtant bousculer le principe des épisodes de vingt minutes bouclés (même Archer, pourtant différente sur la forme et dont les personnages évoluent, dispose d’unitaires qui peuvent se grapiller de-ci de-là) pour proposer une intrigue sur toute la longueur de la saison (12 épisodes et un spécial pour Noël).
On y voit le dénommé BoJack, un cheval qui a la voix de Will Arnett (Arrested Development, The Millers) qui est une star de sitcom des années 90 devenue has-been et alcoolique. Le magnifique générique incarne bien le thème de cette première saison dont le héros n’en est clairement pas un : BoJack y est transporté de tableau en tableau, traînant son spleen de faux amis en connaissances lointaines, de fête en fête avant de sauter par la fenêtre et… d’atterrir dans une piscine géante.
Là où les personnages de séries animées traditionnelles se trimballent constamment les mêmes tenues (voilà 25 ans que Lisa Simpson se balade avec sa robe rouge et son collier de perles blanches), BoJack apparaît régulièrement en peignoir, en pyjama, en tenue des années 90 lors des fréquents flashbacks qui nous rappellent combien il était aussi imbuvable jadis qu’aujourd’hui.
Ce héros infect mais forcément attachant car éternel loser prend de l’ampleur au fil des épisodes, justement grâce à ce système de narration filée qui peut accrocher aussi bien l’amateur de séries animées classique que le téléspectateur qui apprécie avant tout les séries feuilletonnantes. De quoi encourager, on le souhaite, la popularisation de ce genre encore mineur à la télévision.
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