Une minisérie addictive dans laquelle Rebecca Zlotowski confronte deux familles rivales.
De quoi demain sera-t-il fait ? A cette question, l’excellente série britannique Years and Years répondait par un noir constat : montée du populisme, technologie galopante, catastrophe nucléaire, crises financière et environnementale, le tout ramené à hauteur d’une famille de la classe moyenne. Years and Years dressait un catalogue des différents scénarios catastrophes qui nous attendent dans les prochaines années. Elle donnait à l’effondrement qui guette nos sociétés un visage on ne peut plus réaliste.
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Si Les Sauvages, la nouvelle série de Canal + adaptée des romans de Sabri Louatah, se veut plus nuancée dans la noirceur de son anticipation (la série s’ouvre sur l’heureux avènement d’un Président français d’origine maghrébine), la série emprunte à Years and Years son procédé de radiographie d’une France contemporaine au bord de l’implosion, vue par le prisme de la cellule familiale, en l’occurrence deux clans, les Nerrouche et les Chaouch.
https://www.youtube.com/watch?v=NYpQ51zgJmo
Entre thriller d’anticipation politique et fresque familiale
La première famille est de condition prolétaire et vit à Saint-Etienne. Elle est notamment composée de Nazir, jeune homme condamné pour incitation à la haine (interprété par le rappeur Fianso, révélation de la série), de Slim (Shaïn Boumedine, tout droit sorti de Mektoub, My love), Lubna, Krim et Fouad. Ce dernier a quitté sa famille pour Paris, où il est devenu un comédien célèbre et a rencontré Jasmine, fille unique du clan Chaouch, d’origine bourgeoise et dont les autres membres sont la mère, Daria (Amira Casar), le père, Idder (Roschdy Zem, dans un rôle de saint patron à la force tranquille qui prolonge celui qu’il tenait dans Roubaix, une lumière de Desplechin) et enfin leur garde du corps en chef (Marina Foïs).
Au moment où commence la série, nous sommes à la veille de l’élection présidentielle française. Idder est élu face au candidat de la droite. Cet Obama français est le premier président originaire d’une ancienne colonie. Mais le soir même, il est victime d’une tentative de meurtre perpétrée par Krim, le cadet du clan Nerrouche. Cet acte plonge le pays dans un climat de guerre civile.
Avec cette minisérie en six épisodes, on sent que Rebecca Zlotowski se frotte au thriller d’anticipation politique et à la fresque familiale avec une sorte de plaisir dispersé. Tout y est mené tambour battant, en sept jours chrono, dans un tourbillon de rebondissements qui rend la série aussi addictive que, par moments, légèrement inconsistante. Sa mise en scène assez impersonnelle, ou plutôt blanche dirons-nous, permet toutefois aux nombreuses images d’actualité et aux vidéos tournées au smartphone de s’incorporer à merveille dans l’ensemble, sans que cela ne relève du gadget. Plus que la réalisation, là où la réalisatrice d’Une fille facile a concentré son attention, c’est dans la restitution de la complexité d’une narration et de notre situation sociopolitique.
Ce récit qui tente d’éclaircir la généalogie d’un crime et de ce qu’il raconte de la société dans laquelle il est commis fait penser aux films de De Palma et d’Oliver Stone, hantés par l’assassinat de J.F. Kennedy. C’est à la France de l’état d’urgence, marquée par le terrorisme, poursuivie par son passé colonial, menacée par la montée du Front national et surtout divisée par le racisme que s’adresse Les Sauvages. Mais contrairement à Un prophète de Jacques Audiard (2009), que Rebecca Zlotowski convoque comme modèle, la sensibilité prévaut sur le virilisme bestial, la retenue stylistique prime sur la virtuosité outrancière et la réconciliation domine la fascination pour la violence. Car Les Sauvages contredit finalement son titre et se traverse comme un lent et nécessaire processus d’apprivoisement de nos divisions
Les Sauvages de Rebecca Zlotowski sur Canal + le 23 septembre
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