Pour aimer Les Revenants, il faut croire aux miracles. Croire que dans une boîte entomologique où des papillons sont conservés sous verre, l’un d’eux se mette subitement à battre des ailes, brise la glace et s’envole. C’est l’une des premières séquences du premier épisode. Elle fixe poétiquement la nature du lien unissant le spectateur à […]
Pour aimer Les Revenants, il faut croire aux miracles. Croire que dans une boîte entomologique où des papillons sont conservés sous verre, l’un d’eux se mette subitement à battre des ailes, brise la glace et s’envole. C’est l’une des premières séquences du premier épisode. Elle fixe poétiquement la nature du lien unissant le spectateur à la série. Un pacte de sidération. Un contrat avec l’impossible partagé de chaque côté de l’écran, dans nos yeux peu habitués à un tel spectacle et dans le regard de personnages subjugués, quand ceux qu’ils croyaient morts franchissent le seuil de leur maison, un beau matin.
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Lorsque le passé vient frapper à la porte, faut-il lui ouvrir ? Les âmes endeuillées des Revenants n’ont pas vraiment le choix. Dans une petite ville bordée par les montagnes, une mère voit sa fille préadolescente disparue dans un accident de bus débarquer comme si de rien n’était ; une femme remariée aperçoit son grand amour suicidé dans le reflet du miroir ; un vieil homme tombe sur son épouse disparue trente-cinq ans plus tôt à la table de la cuisine. D’autres encore peuvent dire avec eux qu’ils marchent avec un zombie – I Walked with a Zombie est le titre original du film de fantômes séminal Vaudou, réalisé par Jacques Tourneur en 1943.
De doux spectres
Ces zombies n’ont pas la bave aux lèvres et les gestes désynchronisés. Ils sont beaux comme au jour de leur mort. Leurs souvenirs sont intacts. Ils ont juste un peu faim, mais ne demandent qu’à revenir s’installer à la table des vivants, pas à les dévorer. Sont-ils trop parfaits pour être vrais ? Pas encore, cela viendra.
Ils ont peu à voir avec les créatures immédiatement dangereuses de The Walking Dead et se rapprochent à leur manière des spectres doux sortant de la jungle, imaginés par Apichatpong Weerasethakul, dans Oncle Boonmee. Leur première fonction est de brouiller une frontière que l’on croyait établie entre deux mondes, le visible et l’invisible. Ils servent aussi à interroger les puissances de vie qui les entourent. Ces fantômes ont le coeur qui palpite, submergés par un désir que les vivants plus pâles qu’eux ont perdu en route. Cela peut être tordu et bouleversant, comme quand une jeune revenante veut absolument séduire le petit ami de sa jumelle qui a grandi (y compris sexuellement) sans elle.
Adaptée du film éponyme de Robin Campillo sorti en 2004, la série est morte une première fois avant d’arriver entre les mains de Fabrice Gobert, jeune réalisateur de cinéma (Simon Werner a disparu, 2010). Sa résurrection amène la fiction française vers des terres infréquentées dans son histoire contemporaine. La première singularité des Revenants tient à son ambition plastique. Adepte d’une stylisation extrême, Gobert s’est inspiré des photos de l’Américain Gregory Crewdson pour donner une atmosphère inquiétante à des lieux banals, lotissements, médiathèque, centreville désert, lisière de forêt, et faire entrer le fantastique dans les gestes et les territoires du quotidien.
À travers les familles chamboulées qui sont au centre du récit, le premier genre travaillé par Les Revenants est celui, bien français, de l’intime. En revanche, l’imaginaire de la série est hanté par la culture anglosaxonne. Fabrice Gobert a tourné à Annecy et dans les environs, mais sa France est nappée d’Amérique. Ainsi le bar de nuit fréquenté par les jeunes du coin, ou le diner et son serveur en chemise de cow-boy comme chez David Lynch. En plus de Twin Peaks, on retrouve des bribes de Six Feet Under, Lost, et même Rencontres du 3e type. Des corps troublés évoquant David Cronenberg apparaissent, et la musique atmosphérique signée Mogwai fait écho à celle composée par John Carpenter lui-même pour son film The Fog (au registre des influences, la seule entorse à la règle du tout-américain étant le film de vampires suédois Morse).
Paradoxalement, c’est aussi une certaine réalité provinciale qui transpire de ces visions lointaines. Ce genre de réaction chimique permet à la série de renforcer son caractère hybride et d’exister par elle-même. Le mélange qu’elle propose pourrait être scolaire, il est finalement culotté.
Malgré des trous d’airs et quelques pistes peu abouties (le personnage d’Anne Consigny, très statique), Les Revenants épaissit son mystère au fil des huit épisodes, et maîtrise de mieux en mieux son récit défiant les strates temporelles, avant une conclusion magistrale. L’addiction fonctionne en douceur, presque par surprise. En même temps qu’elle réussit à modifier la géographie du monde sensible telle que ses personnages la connaissaient, la série parvient à modifier notre conception de ce qu’il est possible de voir et d’aimer à la télévision française. Bienvenue dans une nouvelle ère.
Les Revenants saison 1, écriture Fabrice Gobert, Emmanuel Carrère et Fabien Adda ; réalisation Fabrice Gobert et Frédéric Mermoud. À partir du 26 novembre, 20 h 50, Canal+.
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