Si le scénario et la mise en scène sont les éléments clés du succès d’une série, l’attachement du spectateur se joue aussi sur le terrain des personnages, présences familières qui viennent peupler son quotidien. Portrait de quelques figures inoubliables. Un extrait du Hors-série Inrocks Spécial Séries en kiosque
Omar Little dans The Wire
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Au départ personnage plutôt secondaire de The Wire (il n’apparaît qu’à partir du troisième épisode de la première saison et ne devait pas intervenir dans les suivantes), Omar Little en est rapidement devenu la figure la plus emblématique. Au cours de sa campagne électorale, Barack Obama lui-même a avoué sa fascination pour lui – tout en s’empressant de condamner ses actes. Car Omar est un dealer, un voleur qui ne connaît que la loi du “game” et n’hésite pas à canarder ceux qui se dressent sur son chemin. Quand ils l’entendent siffloter puis l’aperçoivent, le manteau largement ouvert à la manière des héros de westernspaghetti, et le canon scié à la main, les enfants des cités courent se cacher en braillant “Omar ! Omar !” comme ils crieraient au grand méchant loup. Et, malgré le mépris qu’ils affichent pour son homosexualité, les gangsters en ont tout aussi peur.
Le magnétisme du personnage influe ainsi sur tous ceux qu’il côtoie, flics, juges ou dealers. En outre, sa croisade personnelle pour venger le meurtre de son compagnon constitue l’un des ressorts romanesques les plus captivants de la série. Avec son visage strié d’une longue cicatrice (souvenir d’une bagarre de jeunesse), son regard désabusé et son élégance d’ancien danseur, Michael K. Williams transcende ce rôle difficile de truand impitoyable et fragile, goguenard et mélancolique. Evacuant le cliché de la grande folle, il donne à Omar une envergure byronienne et n’hésite pas à bousculer les préjugés sur l’homosexualité que de nombreux Afro-Américains continuent de véhiculer, notamment à travers le rap. Aujourd’hui, Williams s’amuse beaucoup d’être encore appelé Omar par les gosses de rues qu’il croise, moins d’être régulièrement traité de “cocksucker” par certains de leurs frangins. Malgré ses apparitions dans d’autres séries – notamment dans Boardwalk Empire –, le rôle d’Omar lui colle toujours à la peau. Il l’accepte fièrement, considérant sans doute que c’est le prix à payer pour être devenu un symbole. Louis-Julien Nicolaou The Wire (2002-2008), série créée par David Simon.
Josh Lyman dans A la Maison Blanche
Il y a ceux qui penchent pour la vigoureuse C.J. et ceux qui ne jurent que par le “droopyesque” Toby Ziegler. Tous les fans de l’immense The West Wing se sont un jour posé la question de leur chouchou. Ils auront même parfois pu osciller d’une saison à l’autre, car c’est un luxe des séries que de pouvoir changer de phare plusieurs fois sur une traversée de sept ans. Nous, notre coeur appartient à Josh Lyman, le Deputy Chief of Staff de l’administration Bartlet, esprit brillant et d’une arrogance jubilatoire, incarné par l’acteur Bradley Whitford, inconnu avant, inconnu ou presque depuis, et cependant l’un des plus grands acteurs au monde. Car il en aura fallu de l’allure pour donner corps et panache à ce pur esprit pourtant sexy en bras de chemise, maniant la langue d’Aaron Sorkin (créateur et scénariste de la série) comme si elle était sienne, donnant l’illusion de facilité d’un Fred Astaire du verbe.
http://youtu.be/u4pB5_0AUVk
L’amour d’un personnage tient parfois à rien du tout. A un tout petit détail (glissé là par le scénariste, un des réalisateurs, l’acteur lui-même ?) presque invisible, presque insignifiant, mais pourtant immuable : son petit sac à dos immanquablement vissé sur une seule épaule, comme un reste d’enfance bouleversant qui nous l’attacha pour toujours. Josh Lyman, c’est un peu le papa idéaliste de Mark Zuckerberg dans The Social Network (aussi scénarisé par Sorkin). Mais ce dernier aura hérité d’une dureté et d’une noirceur propres aux années 2000 que son aîné, tout inflexible et arrogant qu’il fût, avait toujours évitées avec cette élégance folle des nineties finissantes. Clélia Cohen
A la Maison Blanche (1999-2006), série créée par Aaron Sorkin.
Bree Van de Kamp dans Desperate Housewives
Une coupe impeccable, une bouche qui pince ses sourires, un regard figé dans une amabilité impénétrable, une vie privée réglée au millimètre près… avec ses faux airs de Carole Bouquet rousse, Bree Van de Kamp ressemble à une statue de cire engoncée dans les innombrables tics de la vie bourgeoise. Une femme téléguidée par son obsession de tout contrôler, qui prend beaucoup trop de gants, que ce soit pour faire la vaisselle, la cuisine, jardiner ou s’adresser aux autres, au point de ne plus pouvoir les ôter quand son mari, exténué par ce perfectionnisme névrotique, la supplie de divorcer.
http://youtu.be/68o2rNqBNtU
A force de croire qu’elle ne saurait exister autrement qu’en épousant pleinement chaque micro-élément de son quotidien, Bree se heurte, d’épisode en épisode, à toutes les petites aspérités et les grandes imperfections de la réalité. Et rien ne lui est épargné, du titre de reine de la tarte au citron qu’on tente de lui ravir à son alcoolisme qu’il lui faut bien admettre, en passant par une ménopause précoce, une entrée imprévue dans la grandematernité, le décès de son premier mari, le divorce d’avec le second, etc. Pourtant, cette républicaine désespérément éprise de conformisme (elle va jusqu’à soutenir la National Rifle Association de Charlton Heston), Marcia Cross réussit à la rendre irrésistiblement drôle et émouvante, parfois ridicule, mais jamais minable. Elle en fait un être hybride en lutte pour et contre elle-même, mi-mémère maladroite mi-vamp glamour, coincée par ses manies et volcanique quand elle lâche la bride à ses désirs. La plus touchante des “femmes au foyer désespérées”. Lous-Julien Nicolaou
Desperate Housewives (2004-2012), série créée par Marc Cherry.
Fox Mulder & Dana Scully dans X-Files
A priori, c’est le couple d’agents du FBI le plus mal assorti à avoir été imaginé pour la télé. Lui (David Duchovny) est happé par tout ce qui est paranormal. Passionné, paranoïaque, il agite la théorie du complot à la moindre anomalie et croit fermement en l’existence d’extraterrestres (normal : ils ont enlevé sa soeur). Plus rationnelle et scientifique, mais animée par une foi religieuse, Dana (Gillian Anderson) a d’abord pour mission de réfréner les élans de chien fou de Fox. Mais, au fur et à mesure qu’ils traitent les dossiers non classés (et souvent inclassables), elle fait sien le credo de son partenaire : “La vérité est ailleurs.” Entre eux deux s’installe une inébranlable confiance qui les pousse, à l’occasion, à combattre leur hiérarchie et à agir comme s’ils étaient seuls contre tous.
http://youtu.be/MtXa1fFZnJA
Si leur mission de justice prime sur le reste, leur relation est vite empreinte d’équivoque, nappée de tendresse et d’une sensualité glacée. Pas épargnés par les événements, entre lavage de cerveau, kidnapping par les aliens et cancer du cerveau, ils finissent par se rapprocher au point de partager la même couche. Mais la discrétion demeure le mot d’ordre, et seuls quelques plans épars servent d’indices. A l’image de William, le fils forcément extraordinaire – il possède le pouvoir de télékinésie – auquel Dana donne naissance : jamais l’identité du père n’est clairement soulignée, bien qu’il s’agisse à 99 % de Fox. Leur départ du FBI et la suite de leurs aventures (le long métrage The X-Files: I Want to Believe) leur ont permis d’afficher clairement leur liaison. Vincent Brunier
X-Files (1993-2002), série créée par Chris Carter.
Jack Bauer dans 24 heures chrono
Ce que des hordes de terroristes serbes, arabes ou russes, des bombes nucléaires, chimiques ou bactériologiques, des geôles chinoises, des tortures mexicaines ou des traîtres américains ne sont pas parvenus à faire en huit ans – avoir la peau de Jack Bauer –, un homme y est arrivé, seul : Barack Obama. C’est qu’aucun autre héros de séries des années 2000 ne s’est autant identifié à l’époque, à sa politique, à son Président : George W. Bush. Né sur la très conservatrice Fox, tout juste après les attentats du 11 Septembre, dans un climat de paranoïa et de guerre préventive, Jack Bauer est l’ultime avatar de l’action hero sacrificiel, moins une créature idéologique – on sait qu’il y eut des dissensions à ce sujet entre les deux showrunners, Joel Surnow et Robert Cochran, jusqu’au clash – qu’un concentré de mauvaise conscience : le type qui fait le sale boulot dont on préférerait ne rien savoir. Mais toujours dans l’intérêt de la nation, avant même le sien.
Ainsi, J. B. (les mêmes initiales que Jason Bourne et James Bond, ses deux frères d’armes) a torturé et assassiné pour la raison d’Etat, offrant un visage, de moins en moins humain, à ce que les chaînes d’info ne pouvaient ou ne voulaient montrer. Brûlé un nombre incalculable de fois sur l’autel du “Now !”, ce diktat du pur présent qui fit de 24 heures chrono le film d’action le plus excitant de son temps, le personnage joué par Kiefer Sutherland n’a finalement pas résisté à l’élection d’un Président noir et modéré, dont il avait pourtant anticipé l’avènement dès 2001. Il partira exsangue au bout de huit saisons, lessivé par trop de twists scénaristiques et de déchirements personnels. Cruelle fin, goddamnit! Jacky Goldberg
24 heures chrono (2001-2010), série créée par Joel Surnow et Robert Cochran.
Nate Fisher dans Six Feet Under
Si la série créée par Alan Ball en 2001 ne possède pas de héros à proprement parler pour mieux se concentrer sur la totalité des membres de l’attachante famille Fisher, croquemorts à Los Angeles, elle tient dans ses personnages l’archétype de l’homme ordinaire sous les traits de Nate Fisher (Peter Krause). Aîné de la fratrie au caractère bien trempé, le mouton noir de la famille – puisque seul adulte à ne pas travailler dans l’entreprise de pompes funèbres au début de la série – a fui la Californie pour se construire loin de son étouffant entourage. Petit préféré de feu papa Fisher qui lui apparaît sans cesse en rêve, Nate se retrouve pourtant coincé, au décès de son père, dans cette vie à laquelle il a jusque-là tâché d’échapper et se fait (au sens propre, comme au sens figuré) rattraper par la mort, qui le terrifie.
Atteint d’une malformation au cerveau dès la première saison, il subit par la suite les conséquences de cette faiblesse, de sa banale lâcheté en devenant le stéréotype de l’antihéros prisonnier d’une existence qu’il honnit mais ne peut pas quitter par pure convention sociale et par peur. Nate se marie sans y croire avec Lisa qui vient d’avoir leur premier enfant conçu par accident, la perd tragiquement dans une histoire d’adultère pathétique, trompe sa seconde femme enceinte. Il essaie par tous les moyens de rentrer dans un moule trop étroit pour lui. Il reproduit le schéma familial qu’il a tant vomi, tente vainement de s’y soustraire tout en refusant à la fois de reconnaître son conformisme forcé. Et finit par accepter son échec sur son lit d’hôpital, reprenant sa vie en main juste avant d’être enterré six pieds sous terre. Ondine Benetier
Six Feet Under (2001-2005), série créée par Alan Ball.
Tony Soprano dans Les Soprano
Calqué en partie sur un vrai mafieux du New Jersey (Vincent Palermo dit “Vinny Ocean”), Tony est le personnage phare des Soprano, son monumental fil rouge. Pendant les six saisons de la série (il apparaît dans tous les épisodes), on assiste à l’ascension de celui qui, meurtrier dès sa vingtaine, gravit les échelons pour devenir chef de clan. Cadrant peu avec le portrait-robot du criminel caractériel à la cruauté gratuite, Tony (James Gandolfini) présente un profil de mafieux ultracomplexe où sont mixées ambition et vulnérabilité. Sous ses airs de gros ours mal léché, il gère ses affaires louches comme un bon père de famille – ce qu’il est, si l’on passe sous silence les multiples infidélités faites à son épouse Carmela et son autoritarisme étouffant envers ses enfants (surtout le fiston A.J.)
http://youtu.be/hsHWZHaqe1Y
Passionné de pêche, recherchant la compagnie d’animaux et amateur de classic rock, il dissimule sous ses airs de brute un coeur tendre. Ça ne l’empêche pas de défendre ses intérêts avec furia et violence – Tony n’hésite pas à se salir les mains quand la situation l’exige. Mais, après avoir tué, il est souvent tenaillé par les remords, et certains morts viennent le hanter à travers des cauchemars et autres hallucinations. Souffrant d’un penchant chronique pour la dépression, il est contraint de consulter très fréquemment sa psy, Jennifer Melfi, le seul autre protagoniste de la série à qui il dévoile son vrai (et double) visage. Jamais un mafieux n’a été aussi humain et émouvant que Tony dans l’ultime saison de la série. Vincent Brunner
Les Soprano (1999-2007), série créée par David Chase.
Don Draper dans Mad Men
Il est grand, beau et séduisant. A quelque chose de l’acteur américain typique avec sa carrure, son regard ténébreux et ses allures de Cary Grant. Il occupe un poste important dans une boîte de publicité, est féroce en affaires, mais guère plus que ses concurrents. Il trompe sa femme et veille pourtant à ce que nul n’oublie de s’extasier de sa beauté à la Grace Kelly lorsqu’il l’emmène dîner en compagnie de clients importants. Il ne s’occupe pas beaucoup de ses enfants, et cependant refuse de les élever à force de taloches. Il professe une certaine morale, mais ne se soucie jamais de l’appliquer à lui-même. Donald Draper (Jon Hamm) n’est ni un héros ni un salaud, c’est un Américain ordinaire, le produit tout frais, tout scintillant d’une société capitaliste reposant sur la concurrence sauvage, la déification de l’objet fonctionnel et le mépris absolu de l’autre.
Pourtant, ce produit s’effare de ne pas vibrer du bonheur qu’il vante jour après jour à travers ses publicités. Et quand il se retourne vers le passé qu’il dissimule à tous et se rappelle que, pour rejoindre la caste des grands mâles américains, il lui a fallu rompre avec sa condition d’enfant de prostituée violenté par son père et usurper l’identité d’un soldat massacré en Corée, Don Draper est pris de panique et s’aperçoit tel qu’il est : un paria perpétuellement en fuite qui a cru trouver des points d’ancrage dans le système auquel il s’était complaisamment offert, mais n’a fait qu’accélérer sa chute spirituelle. Au coeur de l’implacable démythification de l’Amérique moderne accomplie par Mad Men, Don Draper apparaît comme l’ultime incarnation de Faust. Louis-Julien Nicolaou
Mad Men (2007-), série créée par Matthew Weiner.
Walter White dans Breaking Bad
Au début de Breaking Bad, Walter White (Bryan Cranston) incarne tous les types brillants à qui le rêve américain a échappé. Autrefois engagé dans une aventure qui valut à son associé un Nobel puis la fortune, ce brillant chimiste échoué enseignant dans un lycée d’Albuquerque, Nouveau-Mexique, est observé par les siens comme un chic type un peu couard, désabusé et frappé par la poisse. Sa condition de perdant, cet homme doux mais vaincu l’affronte au quotidien, ne tenant encore debout que pour sa femme enceinte et son fils handicapé. Mais vient ce cancer du poumon diagnostiqué en phase terminale. Terrifié à l’idée de ne rien laisser après sa mort, Walter réagit. Enfin. Son association avec Jesse Pinkman (Aaron Paul), un de ses anciens élèves qui traficote de la méthamphétamine, va précipiter son destin, lui attirant en premier lieu les foudres des cartels mexicains. Là, l’ex-prof moqué par ses élèves se découvre en dur à cuir capable de cynisme et de cran. Et d’un sens aigu du business. Mais pour s’être révélé à lui-même, Walter va devoir payer. Car sa condition nouvelle a un coût élevé : le mensonge au quotidien et les menaces que font peser sur lui les stups comme les parrains.
http://youtu.be/Y7AvqD2loX4
Là, les notions de Bien et de Mal sur lesquelles cet homme, hier sans envergure peut-être mais résolument digne, avait fondé sa morale s’écroulent et, dans sa course folle pour la survie de sa famille comme pour la sienne propre, seule demeure la peur. De tomber. De tout perdre. Bientôt, malgré l’annonce de sa guérison, Walter White devient ce personnage tragique déchiré entre des forces antagonistes. Un homme qui, pour avoir cherché à protéger sa famille, a sacrifié ses vertus et vu sa véritable nature l’emporter. David Brun-Lambert
Breaking Bad (2008-), série créée par Vince Gilligan.
Sookie Stackhouse dans True Blood
Interprétée par Anna Paquin, Néo- Zélandaise d’origine canadienne, oscarisée à 11 ans pour son (second) rôle dans La Leçon de piano de Jane Campion, Sookie est une girl next door dont la “next door” est malheureusement celle de l’enfer. Il y a, il est vrai, meilleur projet d’avenir que de s’amouracher d’un vampire, même si l’espèce pullule dans les environs poisseux de Bon Temps, en Louisiane, et qu’il faut bien passer le (bon) temps. Orpheline à l’âge de 7 ans, abusée par son grand-oncle à l’adolescence, sa barque est déjà bien chargée lorsqu’elle succombe aux charmes vitreux de Bill Compton, premier vampire à s’aventurer du côté du Merlotte’s, le bar qui l’emploie comme serveuse. Il est facile à identifier : c’est également le seul sur lequel ses dons de télépathe n’ont aucun effet. Car la pauvre a le ciboulot qui bourdonne de tout ce que chacun autour d’elle se raconte intérieurement, ce qui n’est pas aisé pour la concentration.
Hyper-charnelle dans la première saison, la blanche colombe bientôt vampirisée va peu à peu se désincarner au rythme des rebondissements grand-guignolesques de la série scénarisée par Alan Ball (American Beauty, Six Feet Under), à côté de laquelle Twilight ressemble à un goûter déguisé pour pucelles à dents longues. Au terme de la saison 3, on découvre enfin le secret de son perpétuel déséquilibre : elle est l’hybride d’un humain et d’une fée. Mais à ce moment-là du récit, bon sang, le scénario de plus en plus lourdingue et exténuant n’est ni fée ni à faire. Christophe Conte
True Blood (2008-), série créée par Alan Ball.
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