Créée par Olivier Abbou et Bruno Merle, la série Arte promet beaucoup de glissements entre les genres, mais dévoile vite ses limites dans le traitement de son personnage féminin. Explications.
On se souvient trop clairement de ce qu’ont été les séries françaises (et de ce qu’elles sont encore souvent) pour ne pas plonger dans ces Papillons noirs avec appétit pour le projet et son ambition. Olivier Abbou et Bruno Merle, ses co-créateurs, ont bien fureté dans le milieu depuis un certain temps – le premier, qui réalise les épisodes en plus de les co-écrire, a créé Maroni pour Arte –, mais on sent dès les premières minutes de ce récit tendu que l’enjeu consiste à se défaire des carcans, en flirtant avec plusieurs genres, en multipliant les pistes et les angles, en étalant au maximum la palette chromatique, du très sombre au très coloré.
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Thriller brutal de serial killer, drame psychologique, exercice de style vintage, portrait de couple, précis de masculinité toxique, mystère familial : un glissement permanent de ton et de sujet caractérise Les Papillons noirs, cet ovni dans le paysage hexagonal qu’on aurait voulu aimer sans réserve.
Une histoire dans l’histoire
L’histoire commence par un manque d’inspiration. Nicolas Duvauchelle campe Adrien, un écrivain dont le premier livre a obtenu un succès étonnant, mais qui ne sait plus trop quoi raconter. Il propose d’écrire la vie de celles et ceux qui le demandent et lui parlent longuement. Quand il tombe sur Albert (Niels Arestrup) et son existence ravageuse, pleine de sexe et de sang, un gouffre s’ouvre sous ses pieds, créatif et intime. C’est d’ailleurs ce que visent Abbou et Merle : rien moins que commenter la marche étrange et chaotique d’une fiction née dans la fange d’existences tourmentées et romanesques. Qui dit la vérité ? Qui choisit le mensonge ? Qui jouit de l’une ou de l’autre ?
Ce sujet ancien – réfléchir à une histoire en même temps qu’on la raconte – est d’abord saisi de manière plutôt légère, via des flashbacks exposant la cavale meurtrière d’Albert durant sa jeunesse années 1970-1980, en compagnie de Solange (Alyzée Costes), sa compagne et l’objet de sa passion, telle qu’il la décrit à son auditeur. Ils sont beaux et ils tuent. L’inspiration revendiquée va jusqu’au “giallo”, genre sanguinaire et stylisé du cinéma italien des années 1960 à 1980, représenté notamment par Mario Bava et Dario Argento, dont les créateurs retiennent une certaine profusion distanciée et une multiplication d’effets de mise en scène signifiants.
Torture porn
Pendant un certain temps, la séduction peut opérer, mais la machine se grippe quand on comprend que l’ambition tortueuse des Papillons noirs laisse place trop souvent à une forme de confusion, peut-être autant dans la forme que dans le fond. Attention spoiler. Le parcours meurtrier d’Albert et Solange se construit autour de ce que nous percevons comme un arrangement entre elle et lui : Solange séduit des hommes qui veulent coucher avec elle, puis au moment fatidique, leur explique qu’elle n’a plus envie. La plupart la violent et Albert surgit alors avec son couteau pour les assassiner sauvagement. Le jeu est déjà limite dans sa manière de montrer à répétition Solange entièrement nue et agressée, sous couvert de fantasme – le couple n’arrive à coucher ensemble qu’après les meurtres. À cela s’ajoutent plusieurs avortements, qui font de cette jeune femme ultra sexualisée une figure constamment malmenée, coincée dans l’alternative entre maman et putain.
La dernière partie de la série révèle d’autres enjeux, mais quelque chose ne fonctionne déjà plus. Alors que Solange est censée incarner l’image d’une femme que le désir des hommes transforme en objet – et pourquoi pas -, les créateurs ne lui donnent pas d’autre statut dans la fiction que celui de partenaire annexe. C’est toute la limite des Papillons noirs, qui reste durant la plupart de ses épisodes une histoire de mecs entre eux, incapable de donner du corps à celle qui pourrait (et devrait) incarner son héroïne à égalité avec Nicolas Duvauchelle.
Pour les autres femmes (jouées par Brigitte Catillon, Alice Belaïdi notamment), le réveil s’avère tardif et peu convaincant. Ce problème saute aux yeux et empêche la série d’atteindre l’effet coup de poing recherché. Tout à coup, la profusion des angles devient source d’éparpillement : une histoire de flic (joué par Sami Bouajila) apparaît et disparaît, le récit patine quand on aimerait de la netteté et devient explicatif quand on aimerait du mystère. Au bout du chemin, la distance n’est pas tenue. On se souvient alors de nos premières impressions, de notre envie d’en voir plus, et la déception s’impose.
Les Papillons noirs. Sur Arte les 22 et 29 septembre à 20h55. Déjà disponible sur Arte.tv
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