Les handicapés deviendraient-ils les nouvelles victimes d’une télé cynique qui, de plus en plus, les exhibe dans des shows gênants ?
Le 3 avril, Channel 4 lançait en Angleterre sa nouvelle émission, The Undateables, qu’on pourrait traduire par “Les incasables”. Il s’agit d’un énième dating show dans lequel on suit plusieurs individus dans leur recherche du grand amour. Mais cette fois, au lieu de gens ordinaires, les protagonistes sont des personnes atypiques. Loin des standards de normalité ou des canons de beauté, ils sont autistes, atteints du syndrome de la Tourette, en fauteuil roulant, défigurés, etc.
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Comment ne pas se sentir gêné devant ce nouveau show de la misère humaine ? Traités comme des êtres à part, voire des cas désespérés ainsi que le sous-entend le titre de l’émission, le téléspectateur a l’impression d’assister à une exhibition de freaks, sous couvert de donner de la visibilité à ceux qui sont trop souvent ignorés par la télé-réalité. Le cynisme ou la sincérité naïve sont-ils suffisants à évaluer la grille des valeurs qui transpire dans ce genre d’émission ? La question se pose d’autant plus que la télé a déjà diffusé des hoax (des canulars) polémiques pour interpeller le public.
En 2007, The Big Donor Show sur la chaîne hollandaise BNN provoque un tollé : une femme, atteinte d’un cancer en phase terminale, rencontrait trois patients en attente d’une greffe et devait choisir celui qui allait hériter de ses reins. Avec ce programme trash, la fausse mourante et les vrais malades entendaient sensibiliser au don d’organes. Dans un autre registre, Channel 4 avait lancé en 2009 la série Cast Offs (Les “Parias”), présentée comme une “fausse télé-réalité” à la Koh-Lanta, mise en scène et jouée par des handicapés.
D’un autre côté, certains programmes focalisés sur des personnes malades ou handicapées sont tout à fait sérieux. En 2008, TF1 avait réuni une dizaine de candidats souffrant de handicaps dans le Kilimandjaro, au-delà des limites. C’est en s’entraidant et s’épaulant qu’ils pouvaient gravir le sommet. En 2010, BBC Three a présenté Dancing on Wheels, version anonyme et en fauteuil roulant de Danse avec les stars. Sundance Channel vient d’annoncer Push Girls, qui suit le quotidien de quatre femmes en fauteuil roulant. Depuis peu, la télé-réalité semble enfin se détacher du “glamour” qu’elle valorisait autrefois avec des candidats blond platine, des décolletés profonds et des torses body-buildés. Pour mieux tomber dans l’extrême inverse.
Aujourd’hui, le buzz s’est déplacé. On l’a vu avec l’émission Zita, dans la peau d’une obèse (M6), dans laquelle une journaliste se mettait au défi d’avaler des quantités vertigineuses de nourriture. Effet pervers, l’émission induisait un lien direct entre obésité et hyperphagie, pourtant rare dans la réalité. Il est bénéfique que les handicapés gagnent en visibilité à la télé. Mais entre exposition et exhibition, pour reprendre le titre de l’exposition au Quai Branly sur les zoos humains , il y a un pas que la télé franchit. S’il y a bien quelque chose que nous a appris Grégory Cuilleron, ex-candidat de Top Chef sur M6, c’est que le handicap peut passer au second plan, ou même être oublié. Et que l’on peut mélanger valides et handicapés. C’est même une condition sine qua non pour empêcher une stigmatisation qui mène au freak show.
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