Malgré le déluge de moyens financiers, que valent vraiment les deux premiers épisodes du très attendu préquel du “Seigneur des anneaux” ?
La guerre est déclarée. Annoncé de longue date, l’affrontement homérique qu’entendent se livrer House of the Dragon, spin-off de Game of Thrones diffusé depuis le 22 août, et Les Anneaux de pouvoir, série basée sur Le Seigneur des Anneaux lancée ce vendredi, est sur le point de commencer. En souterrain, c’est une guerre d’une autre nature qui fait rage : celle opposant HBO, chaîne câblée mythique de la télévision américaine, entrée dans une autre dimension avec le succès phénoménal de Game of Thrones, et Amazon, géant du e-commerce qui entend bien faire des Anneaux de pouvoir la série événement qui faisait jusque-là défaut à Prime Video, sa plateforme de streaming au succès relatif. L’objectif est clair : asseoir sa domination sur le territoire de la fantasy à (très) grande échelle, et gagner la guerre des audiences. Une série pour les gouverner toutes ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une chose est sûre, la firme de Jeff Bezos n’a pas lésiné sur les moyens pour se permettre d’y croire. Avec un budget colossal estimé à pas moins de 465 millions de dollars pour sa seule première saison (parmi lesquels sont néanmoins compris les 250 millions déboursés pour acquérir les droits des livres), Les Anneaux de pouvoir s’est illico vu attribué le label si clinquant de “série la plus chère jamais produite”. Mieux : à coup d’annonces fracassantes, parfaitement cadencées sur le calendrier promotionnel, la production a laissé entendre que la série atteindrait le milliard de dollars de budget au bout des cinq saisons qu’elle ambitionne de produire. Des chiffres vertigineux, qui donnent forcément le tournis, et disent beaucoup des moyens mis en œuvre par Amazon pour se tailler la part du lion. Mais si Prime Video a sans nul doute gagné la bataille des chiffres, magiciens avisés et Hobbits avertis savent que la véritable guerre se joue ailleurs.
Un monde tentaculaire signé J.R.R Tolkien
Il fallait rien de moins qu’une franchise archi-populaire pour minimiser les risques d’un tel investissement, capable de faire s’effondrer des empires. Œuvre culte de J.R.R Tolkien, encore auréolé du triomphe au box-office de la trilogie qu’en a tiré Peter Jackson au début des années 2000 (érigée en “Star Wars du XXIe siècle” par toute une génération de spectateur·trices), Le Seigneur des Anneaux avait tout du client idéal. Mais plutôt que de réadapter les trois livres, parus entre 1954 et 1955, les créateurs J. D. Payne et Patrick McKay ont fait le pari d’investir les milliers de pages, plus ou moins annexes, que Tolkien a consacré à l’édification de son monde tentaculaire, et à son histoire plusieurs fois millénaire, dont Le Seigneur des Anneaux n’est finalement qu’une infime portion.
Nous sommes quelque sept mille ans avant les aventures de Frodon, au début du Second Âge de la Terre du Milieu, une période de paix relative. Au terme d’une guerre dévastatrice (dont le prologue de la série nous donne un aperçu spectaculaire), Morgoth, l’incarnation du mal, et son serviteur Sauron, le seigneur des ténèbres, ont finalement été vaincus par les Elfes et leurs allié·es, non sans sacrifices. Mais une poignée d’Elfes, mené·es par Galadriel (bien avant qu’elle ne devienne la reine éthérée que campe Cate Blanchett dans les films), demeurent persuadé·es que Sauron n’a pas été entièrement éradiqué, et qu’il recouvre ses forces à l’abri des regards, tapis dans l’ombre. Au terme d’une traque de plusieurs siècles, Galadriel et sa compagnie rentrent bredouille, et doivent renoncer à leur quête. Pourtant, des quatre coins de la Terre du Milieu se propage la rumeur d’un mal ancien et profondément enfoui sur le point de resurgir ; tandis que dans les territoires sauvages du Nord, où vivent de curieuses créatures appelées Piévelus (les ancêtres des Hobbits), une météorite s’écrase dans un champ, faisant apparaître un mystérieux personnage à la barbe grisonnante…
Préquel et origin story
La série d’Amazon s’envisage donc comme un préquel du Seigneur des Anneaux, en même temps que l’origin story de plusieurs personnages familiers : outre Galadriel, dont on suit la “jeunesse” baroudeuse (rappelons que les Elfes sont immortel·les) on retrouve le jeune Elrond (incarné par Hugo Weaving dans les films), demi-Elfe envoyé en émissaire chez les Nains de Khazad-dûm afin de mener à bien un projet tenu secret, dont on devine qu’il aboutira à la création des Anneaux de Pouvoir.
La première chose qui frappe à la vision des deux premiers épisodes auxquels nous avons eu accès (sur 10 prévus), c’est la proximité de la série avec la trilogie de Peter Jackson, comme si, paralysés par l’enjeu, les créateurs n’avaient pas été capables de s’extraire du giron paternel. Même dialogue entre épique et intime, même mélange d’heroïc fantasy wagnérienne et de fable pastorale guillerette, même répartition des forces. S’il n’est pas étonnant que deux adaptations d’une même œuvre présentent des similitudes, c’est ici toute l’essence des films de Peter Jackson (absent du projet), de la direction artistique à la musique, qui semble avoir été encapsulée, et déclinée en format sériel. Ainsi, ce n’est plus à travers les yeux ébaubis d’un groupe de Hobbits sédentaires, lancés malgré eux dans une quête qui les dépasse, que nous découvrons la Terre du Milieu, mais au gré d’un montage alterné, qui dans les séries de fantasy est la règle. Des terres agraires des hommes, aux cités majestueuses des Elfes, en passant par les montagnes sculptées par les Nains, nous voyageons d’un point à l’autre de la carte du monde, suivant le fil d’intrigues parallèles qui finiront inévitablement par converger.
Une série qui multiplie les records
Autrement, les deux premiers épisodes des Anneaux de pouvoir remplissent leur contrat, et donnent un aperçu de la débauche visuelle qui nous attend. “L’argent est vraiment à l’écran”, avait asséné la productrice Lindsey Weber comme une profession de foi dans un article du Washington Post. Et force est de constater que l’argument a su être entendu, en témoignent les premiers retours quasi-unanimes, saluant “le tour de force” ou “la démonstration de puissance” d’Amazon. Mais au-delà du bilan comptable, et des épithètes stéroïdés acclamant la démesure d’un projet financé par un géant du e-commerce, Les Anneaux de pouvoir ne présente pour l’heure rien de vraiment exceptionnel. Plutôt laids visuellement (en dépit de tout ce pognon visible à l’écran), parfois brouillons dans la hiérarchisation des enjeux, émulant la patine des films de Jackson sans parvenir à en saisir le suc, les deux premiers épisodes (réalisés par Juan Antonio García Bayona) nous ont surtout apparus cruellement désincarnés, comme incapables de faire corps avec cet univers majestueux que les créateurs semblent observer sous verre, peut-être par peur de le salir.
Si on attendra la suite de la saison pour émettre un avis catégorique, Les Anneaux de pouvoir n’est pour l’heure pas la série de fantasy définitive qu’elle nous a laissé entendre qu’elle pourrait devenir. Il lui faudra trouver sa voie propre, et faire sienne cette Terre du Milieu qu’elle survole prudemment, pour être autre chose qu’une série-record, cultivant les superlatifs pour dissimuler sa vacuité.
Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de Pouvoir de John D. Payne et Patrick McKay avec Morfydd Clark, Markella Kavenagh à partir de septembre sur Amazon Prime Video
{"type":"Banniere-Basse"}